Interview d’Alexandra Tavernier

(athlétisme)

SpĂ©cialiste du lancer du marteau, Alexandra Tavernier compte Ă  son palmarès une mĂ©daille de bronze aux Championnats du monde 2015 et une mĂ©daille d’argent aux Championnats d’Europe 2018. Elle devra attendre un an de plus pour participer Ă  ses deuxièmes Jeux Olympiques et nous explique comment elle a vĂ©cu ce report.

Alexandra, tu as remportĂ© la mĂ©daille de bronze du lancer du marteau lors de tes premiers Championnats du monde, en 2015 Ă  PĂ©kin. A l’époque, cette mĂ©daille Ă©tait-elle pour toi un objectif clair ou bien une belle surprise ?

En dehors du groupe restreint qui m’entourait, comportant notamment le kinĂ©, le prĂ©parateur physique et l’entraĂ®neur, personne ne s’attendait Ă  ce que je remporte une mĂ©daille Ă  l’époque. Alors que nous, on savait que c’était possible. On l’espĂ©rait et on l’attendait mais on ne l’avait pas annoncĂ©. C’était un grand championnat, donc c’était la forme du jour qui comptait. C’est vrai que les gens ont Ă©tĂ© un peu surpris qu’une gamine de 21 ans gagne une mĂ©daille !

Peux-tu nous raconter comment tu as vĂ©cu cette finale de l’intĂ©rieur ?

J’ai fait un très gros jet dès le premier essai, ce qui m’a positionnĂ©e directement en deuxième position. Je suis restĂ©e Ă  cette position jusqu’au troisième essai, oĂą je suis passĂ©e troisième. C’était une situation nouvelle pour moi : il s’agissait de mes premiers Championnats du monde et je n’avais participĂ© auparavant qu’aux Championnats d’Europe de Zurich. Je suis alors devenue un peu plus spectatrice. J’espĂ©rais plus que les autres ne me doublent pas, plutĂ´t que d’essayer de faire mieux moi-mĂŞme. J’ai serrĂ© les fesses jusqu’au dernier essai ! (rires)

« Pour moi, c’était inespéré d’aller aux Jeux et encore plus d’aller en finale ! »

Tu as terminĂ© onzième des Jeux Olympiques de Rio 2016. On imagine que ce classement a Ă©tĂ© une dĂ©ception, un an après ta mĂ©daille aux Championnats du monde ?

Non. C’était certes dĂ©cevant par rapport Ă  l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente, mais il faut remettre dans le contexte : cette annĂ©e-lĂ  n’a vraiment pas Ă©tĂ© simple pour moi. En janvier 2016, mon coach m’a lâchĂ©e. J’ai dĂ» quitter l’INSEP et dĂ©mĂ©nager au fin fond de la Bretagne pour pouvoir m’entraĂ®ner avec le rĂ©fĂ©rent des lancers. C’est difficile de tout reprendre Ă  0 Ă  six mois des Jeux ! En plus, j’ai fait une dĂ©pression et j’ai pris quasiment 16 kilos en six mois. Pour moi, c’était inespĂ©rĂ© d’aller aux Jeux et encore plus d’aller en finale !

Quels souvenirs gardes-tu de ces Jeux Olympiques de Rio ?

HonnĂŞtement, j’étais très déçue ! Je crois que j’étais dans l’un des pires appartements de la dĂ©lĂ©gation française. Il n’y avait pas de fenĂŞtre, les toilettes ne marchaient pas et on avait une douche pour 4 ou 6 personnes, en fonction des gens qui arrivaient. A part ça, je pense que comme ma performance n’a pas Ă©tĂ© bonne, je n’ai pas apprĂ©ciĂ© les Jeux Olympiques Ă  leur juste valeur. Les circonstances ont fait que mon Ă©tat d’esprit ne pouvait ĂŞtre que nĂ©gatif. Pour couronner le tout, j’étais malade pour la cĂ©rĂ©monie de clĂ´ture et je suis donc restĂ©e dans ma chambre. Je n’ai donc pas du tout eu une bonne impression de ces Jeux Olympiques !

Tu as remportĂ© la mĂ©daille d’argent des Championnats d’Europe 2018. Considères-tu que cette mĂ©daille a Ă©tĂ© plus difficile Ă  chercher que celle de 2015, après deux annĂ©es compliquĂ©es ?

Oui, elle a Ă©tĂ© beaucoup plus difficile. En 2015, j’étais jeune et insouciante : si je rĂ©ussissais, tant mieux, si je ne rĂ©ussissais pas, tant pis. En 2018, j’avais beaucoup plus de maturitĂ© et d’expĂ©rience. J’apprĂ©hendais la compĂ©tition diffĂ©remment. De plus, les saisons 2016 et 2017 avaient Ă©tĂ© très compliquĂ©es, ce qui n’aidait pas. Remonter sur le podium en 2018 a Ă©tĂ© un peu la renaissance. On a prouvĂ© qu’on Ă©tait toujours lĂ  aux gens qui nous pointaient du doigt et qui disaient qu’on n’arrivait pas Ă  avancer. Cela prouvait que ce n’était pas un coup de chance.

Quel regard portes-tu sur ton annĂ©e 2019, au cours de laquelle tu as terminĂ© sixième des Championnats du monde de Doha et battu ton propre record de France ?

Cela a vraiment Ă©tĂ© une annĂ©e exceptionnelle. Chaque compĂ©tition a apportĂ© son expĂ©rience. J’ai fait des compĂ©titions toute seule et aussi des compĂ©titions oĂą mon coach est venu, j’ai gagnĂ© un World Challenge, j’ai battu un record de France. Toutes les compĂ©titions de l’annĂ©e ont Ă©tĂ© très positives et j’ai rempli mes objectifs quasiment Ă  chaque fois. Les qualifications des Championnats du monde de Doha ont Ă©tĂ© très bonnes. Il y a juste eu un petit coup de mou : j’ai eu un gros coup de chaud lors de la finale Ă  Doha et ça a Ă©tĂ© compliquĂ©. Mais cela a Ă©tĂ© une très bonne annĂ©e sur les plans physique, personnel et psychologique.

«A l’heure actuelle, le monde n’a pas besoin des Jeux Olympiques »

Avec MĂ©lina Robert-Michon, Quentin Bigot et toi, l’équipe de France monte rĂ©gulièrement sur le podium en lancers. Sens-tu que le regard des gens sur les lancers commence Ă  changer ?

Oui. Il y a un exemple très marquant et je suis ravi que la FĂ©dĂ©ration Française l’ait soulignĂ©, c’est les Championnats d’Europe par Ă©quipe 2019. On a un lanceur dans chaque catĂ©gorie, hommes et femmes, et ce sont les lancers qui ont fait le plus gros total de points de l’équipe de France. Avant, les lancers Ă©taient le parent pauvre de l’athlĂ©tisme français. DĂ©sormais, on est un vĂ©ritable pilier fort et stable. Je pense que les gens changent petit Ă  petit leur regard. Nous ne sommes plus des « gros Â», nous sommes de vrais athlètes. Je m’entraĂ®ne trois fois par jour. On fait vraiment partie de l’équipe de France. On n’est pas des boulets, alors que c’était un peu l’image qu’on avait de nous il y a quelques annĂ©es.

Les Jeux Olympiques de Tokyo ont Ă©tĂ© dĂ©calĂ©s Ă  2021 Ă  cause du coronavirus. Comment as-tu digĂ©rĂ© la nouvelle ?

Honnêtement, je m’y attendais. Ma mère travaille dans le médical. Elle a été confrontée tout de suite au coronavirus et elle a eu plein de cas. J’étais donc au courant heure par heure de l’évolution et je pensais que l’IAAF et le CIO allaient être obligés de décaler les Jeux Olympiques. A l’heure actuelle, le monde n’a pas besoin des Jeux Olympiques. On a juste besoin de se relever ensemble. C’est très bien que cela soit décalé à l’année prochaine. Cela aurait été déplacé de notre part d’aller aux Jeux Olympiques alors que nous sommes en crise financière et en récession. La santé mondiale de la population est bien plus importante que les Jeux Olympiques, même si ça aurait peut-être pu donner un peu de baume au cœur aux gens. En tout cas, je n’ai pas du tout la tête à ça. Sinon, c’est bien sûr un peu dommage pour nous. Je n’avais pas fait la saison hivernale afin de me préparer pour les Jeux. J’avais réalisé de très grosses performances à l’entraînement dès le mois de février, ce qui annonçait une très belle saison. Donc oui, je suis un peu déçue, mais c’était pour moi la seule décision à prendre.

Tu es l’actuelle dĂ©tentrice du record de France. Tes prochains objectifs sont-ils plutĂ´t en termes de records ou en termes de mĂ©dailles ?

Le record du monde est un peu loin ! (rires) HonnĂŞtement, maintenant que je dĂ©tiens le record de France, je ne m’y consacre plus trop. Mon but est de me dĂ©passer tout le temps et de progresser. Je veux battre mon propre record, en tant que mon record personnel et non pas en tant que record de France. Je souhaite aussi parvenir Ă  ĂŞtre toujours prĂ©sente le jour J en grands championnats et avoir un maximum de breloques autour du cou !

Merci beaucoup Alexandra pour ta gentillesse et bonne chance pour la suite !

La carrière d’Alexandra Tavernier en quelques lignes :

Spécialiste du lancer du marteau, Alexandra Tavernier devient championne du monde junior en 2012. Elle participe à ses premiers Championnats d’Europe en 2014 et y termine 6e.

Elle remporte la médaille de bronze lors des Championnats du monde 2015. L’année suivante, elle prend la 11e place des Jeux Olympiques de Rio 2016. Aux Championnats du monde 2017, elle se classe 12e.

En 2018, elle devient vice-championne d’Europe, obtient l’or aux Jeux Méditerranéens et bat le record de France. En 2019, elle termine 6e des Championnats du monde et bat son propre record de France (74,84 m). Aujourd’hui âgée de 26 ans, Alexandra Tavernier vise les Jeux Olympiques de Tokyo en 2021.

drapeau olympique Participation aux Jeux Olympiques de Rio 2016

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