Champion Olympique à Rio en 2016, double champion du monde et quadruple champion d’Europe : Jérémie Azou a tout gagné en aviron. Désormais retraité, il nous explique les grands moments de sa carrière mais aussi les moments plus difficiles.
Jérémie, tu as terminé quatrième des Jeux Olympiques de Londres 2012 dans des conditions spéciales : après un bon départ de ton embarcation, la course a été arrêtée pour un problème dans le bateau anglais, le départ redonné quelques minutes plus tard et le bateau anglais a fini médaillé alors qu’il aurait pu être éliminé. As-tu mis du temps à digérer cette course et cette injustice ?
Oui, cela a été long. Quand on a passé la ligne d’arrivée, on pensait qu’il y avait vraiment eu une casse matérielle. On se sentait alors très déçus mais pas non plus trahis par rapport à cette histoire de règlement (le règlement prévoyait à l’époque que le départ soit redonné en cas de casse matérielle d’un des bateaux dans les 100 premiers mètres de course, mais les Anglais ont arrêté la course sans casse matérielle, ndlr). Ce qui a été plus dur, c’est quand on a pris connaissance qu’il n’y avait pas eu de casse matérielle avérée.
Après, cela a été assez long à digérer parce que les gens posaient souvent la question. D’autres événements avaient eu lieu avec l’équipe nationale anglaise, notamment en cyclisme sur piste, et des reproches avaient été faits sur l’utilisation du règlement et des formes de triche de leur part. Comme cela avait fait pas mal de bruit médiatiquement, les journalistes et les gens de l’entourage relançaient le sujet et ré-ouvraient un peu la plaie. Cela a rendu le processus long. Mais après, cela a été une superbe source de motivation. Quand on a réussi à faire le « deuil » de la course, cela a alimenté de façon significative notre volonté de performer sur l’Olympiade suivante.
Il s’agissait en 2012 de tes premiers Jeux Olympiques. As-tu ressenti à Londres toute la magie dont parlent souvent les athlètes ?
Non, pas vraiment. Le site de compétition n’était pas extraordinaire. Il était tellement loin du Village Olympique qu’ils avaient construit un Village Olympique annexe, où on était pendant notre semaine de compétition. Mais on mettait malgré tout 45 minutes de bus pour arriver sur le lieu de la compétition. C’est une expérience qui a été en demi-teinte. Une fois notre compétition terminée, on a été transférés dans une résidence étudiante à plusieurs arrêts de métro du Village Olympique. On a alors essayé d’en profiter comme on pouvait avec mon ancien coéquipier de l’époque (Stany Delayre, ndlr). On a quand même assisté à des événements magiques, comme la demi-finale du 200 m qui était incroyable. On a réussi à voir quelques autres sports. Mais je me suis vite rendu compte du pseudo effet paillettes des Jeux Olympiques : c’est plus facile d’avoir des tickets auprès du CNOSF pour voir les autres sports quand tu es champion Olympique que quand tu es quatrième ! Il y a deux réalités. Londres n’est donc pas mon meilleur souvenir mais aura été une première expérience qui aura servi. C’est important pour un athlète d’avoir une première expérience, qu’elle soit bonne ou mauvaise, pour mieux gérer certains paramètres qui peuvent jouer sur le résultat final.
« C’est plus facile d’avoir des tickets auprès du CNOSF pour voir les autres sports quand tu es champion Olympique que quand tu es quatrième ! »
En 2015, tu es devenu champion du monde en France avec ton partenaire Stany Delayre. On imagine que cela a été un grand moment à vivre ?
C’est sûr que cela n’arrive pas souvent en France d’avoir cette chance. En aviron, cela faisait quasiment 20 ans qu’il n’y avait pas eu les Championnats du monde en France. Quand la course était finie, il y a eu un moment de partage incroyable avec le public. Mais pendant la compétition, ce n’est pas quelque chose qui m’a galvanisé, au contraire. J’ai toujours préféré être un peu loin de la pression silencieuse du public et de la Fédération. En plus, on était à l’époque le bateau pilote de la flotte tricolore et il y avait des attentes de résultat.
Tu as été vice-champion du monde 2014 et champion du monde 2015 avec ton partenaire Stany Delayre, mais tu as été associé à Pierre Houin pour les Jeux Olympiques de Rio 2016. On imagine que cela a été difficile humainement de devoir changer de coéquipier ?
Je vais parler en mon nom et expliquer mon ressenti personnel. Oui, cela a été très dur en 2016. J’ai une amitié très forte avec mon coéquipier Stany Delayre, et je suis même le parrain de son fils. A côté de cela, ce qui a été toxique, c’est le manque de transparence, de communication et de visibilité de la part de la Fédération sur les critères de sélection. On sait tous que le sport de haut niveau est très dur et qu’il y a plus d’appelés que d’élus. Mais ce qu’il faut à l’athlète pour arriver à s’épanouir et participer à une dynamique collective, c’est connaître tous les tenants et les aboutissants du processus de sélection. Je trouve que c’est quelque chose qui a manqué en 2016. Ce qui fait que quand le choix de la Direction Technique Nationale est prononcé, il y a un goût d’amertume qui va entraver l’ambiance collective et je pense aussi la performance finale. A un moment donné, on se sent soit trahi, soit désabusé, soit utilisé. Ce sont des sentiments très désagréables en tant qu’athlète, parce qu’on est à la fois le dernier maillon de la chaîne mais aussi celui qui permet au système de fonctionner. Toutes ces raisons font que cela a été compliqué humainement en 2016.
A la fin, cela va entacher le souvenir qu’on peut avoir d’une médaille Olympique et c’est grave. Si on me demande quel est mon meilleur souvenir d’aviron, ça va être compliqué pour moi de répondre que c’est ma médaille à Rio. C’est horrible de dire ça ! Normalement, cela devrait couler de source ! Cela nous vole de moments précieux. Et encore, j’ai la chance d’avoir été du bon côté de la barrière : je me retrouve avec la médaille autour du cou. Pour Stany, c’est encore plus compliqué : il se retrouve avec rien, alors qu’on était invaincus à part une course sur l’Olympiade précédente. C’est très ingrat et dur humainement.
Lorsque tu es arrivé aux Jeux Olympiques de Rio 2016, tu étais champion du monde en titre et la pression était très importante. Ce statut a-t-il été difficile à gérer ?
Pas nécessairement, parce que c’est une situation qu’on avait vécue très souvent avec Stany. On était quasiment invaincus sur l’Olympiade précédente, donc on avait eu ce statut de leader très souvent. Plus on s’habitue à la pression, plus on a l’habitude de vivre avec et de la gérer. Cependant, il y avait forcément une pression par rapport au choix sportifs de la Fédération. Le bateau était champion du monde et quand vous changez 50% de sa composition l’année Olympique, il ne faut pas terminer deuxième ! Cela aurait été encore plus compliqué à gérer humainement. A noter que Pierre a toujours été irréprochable, il s’est toujours donné à fond et a aussi mérité sa place.
Tu es devenu champion Olympique à Rio. Raconte-nous comment tu as vécu cette finale de l’intérieur ?
C’était une semaine de compétition compliquée car des courses avaient été annulées ou reportées à cause de la météo. Jusqu’au dernier moment, on était dans l’incertitude et on ne savait pas si notre course allait être courue ou pas. Sinon, c’était une histoire de routine pour l’échauffement ou la mise en route jusqu’au départ, mis à part une averse au moment de notre échauffement. Jusqu’au moment du départ de la finale, je n’ai pas de souvenir d’avoir eu une pression particulière. Au contraire, j’avais envie d’en découdre et d’en finir car l’attente était un peu pesante. L’objectif était de faire le job et de remplir le contrat.
Notre stratégie était simple : on avait l’habitude de prendre la course à notre compte, d’imposer notre rythme, de partir en tête et de finir en tête. A la mi-parcours, je sentais bien que la configuration de la course n’est pas celle qu’on avait cherchée à faire. La densité était différente de ce qu’on avait pu voir sur le reste de la saison internationale. Cela aurait pu m’inquiéter. Pierre était censé me dire s’il y avait danger ou pas, auquel cas on aurait ajusté notre stratégie en cours de route. Et il n’a rien dit. Au lieu de me stresser davantage, ça m’a plutôt tranquillisé : je me suis dit que si le petit jeune derrière, qui n’avait aucune expérience de finale Olympique, ne me disait rien et ne s’inquiétait pas, c’est que cela devait aller. Je crois que c’est ce qui nous a sauvé sur cette finale, qui a été très difficile et éprouvante physiquement. Je pense que si on avait changé notre stratégie à la mi-parcours, on l’aurait payé à la fin et on n’aurait pas gagné. C’est comme ça que je l’analyse à posteriori. La course ne s’est pas déroulée comme on l’avait imaginée mais le contrat a été rempli !
« La seule chose que j’ai voulu faire juste après la finale, c’était de rentrer chez moi »
Comment as-tu vécu la période d’après-titre Olympique ?
J’avais déjà une expérience des Jeux Olympiques et je ne me faisais aucune illusion. Je n’ai jamais fait du sport pour la reconnaissance. Je savais que beaucoup de paillettes allaient apparaître et rapidement disparaître. Quand on n’attend rien de la notoriété ou de l’effet Jeux Olympiques, on n’est pas déçu. La seule chose que j’ai voulu faire juste après la finale, c’était de rentrer chez moi. J’ai pris le premier avion. Je n’avais pas envie de rester. L’intérêt de la médaille, c’était pour moi de la partager avec mes proches et ceux qui m’accompagnaient au quotidien. Je n’attendais rien de la reconnaissance médiatique et ça a été un bon moyen de ne pas mal vivre l’après. Je n’ai donc pas eu de soucis à gérer la période d’après-titre Olympique.
Tu concourrais durant ta carrière en catégorie poids léger, ce qui t’obligeait à faire des régimes. Concilier entraînements et performance sportive avec des régimes a-t-il été compliqué ?
Oui, cela a été compliqué. J’ai écrit un livre sur ce sujet, qui est juste un partage d’expérience et qui n’a pas vocation médicale car je ne suis pas médecin nutritionniste et je n’ai aucune prétention (« Une médaille à la faim » paru en 2018 aux éditions Synchronique, ndlr). La contrainte poids et régime ajoutait une difficulté supplémentaire. Quand on discutait avec nos homologues poids lourds, on avait l’habitude de dire qu’on ne faisait pas le même sport. C’était une expérience très dure mais très enrichissante sur le plan personnel. C’était un sacré challenge mais je ne regrette pas d’y être passé. L’objectif n’est pas juste de passer au poids le jour J sur la balance, l’objectif est de rester performant. On est vraiment des funambules. C’est une vraie épreuve psychologique et ça forge le mental. J’ai voulu écrire un livre pour donner mon ressenti et expliquer que c’est très dur même quand on est au haut niveau. On n’est pas forcément aussi bien accompagné que ce que le grand public peut croire. Parfois, le quotidien ressemble cruellement à celui de M. ou Mme Tout le monde qui veut se délester de plusieurs kilos. Le régime a fait partie de ma vie pendant 10 ans !
Tu as arrêté ta carrière à l’âge de 28 ans en 2017, au moment où tu étais champion Olympique et champion du monde en titre. Pour quelles raisons as-tu décidé d’arrêter à ce moment-là ?
J’ai eu l’immense chance d’être parti quand je le voulais. On est très peu d’athlètes à avoir pris la décision avant que ce ne soient les performances sportives ou les blessures qui nous le demandent. Il y avait une vraie usure psychologique. Les coups de blues arrivent à tout le monde. Mais dans mon cas, quand tous les matins et tous les soirs, je traînais les pieds pour aller à l’entraînement et que ça durait plusieurs mois, ce n’était plus un coup de blues : c’était vraiment un essoufflement de la motivation. Il n’y a pas de place pour ça dans le sport de haut niveau, surtout quand votre but est d’être le meilleur. J’avais commencé à avoir ces symptômes au mois de février. Je me suis laissé presque dix mois pour réfléchir. Jour après jour, cette hypothèse se confirmait : le départ en retraite était plus qu’attendu. Cela a presque été une libération pour moi. En aviron, on n’est pas chez nous pendant quasiment la moitié de l’année à cause des stages en équipe de France et des compétitions. J’avais un projet de famille et je ne voulais absolument pas imposer ça à mon entourage. Même aujourd’hui, je n’ai pas de manque. Je suis très content de suivre mes copains depuis mon canapé mais à aucun moment je n’ai envisagé revenir. Le départ en retraite a été assez facile.
Que deviens-tu et quelles ont été les principales lignes de ta reconversion depuis 2017 ?
Un point positif de notre Fédération est qu’elle met bien l’accent sur le double projet et qu’elle incite énormément les athlètes à suivre des cursus formateurs. Je suis devenu kiné-ostéopathe. L’aviron étant semi-professionnel, j’ai travaillé pendant toute ma carrière une fois mes études finies. Je faisais environ 30-35 heures par semaine. La question de la reconversion ne s’est donc pas du tout posée une fois ma carrière terminée. J’ai directement enchaîné sur mon métier de kiné-ostéopathe, dans lequel je m’épanouis. Ca a facilité la transition.
Depuis plus d’un an, je vis à Vancouver au Canada. J’ai déménagé pour suivre ma compagne qui est chercheuse et qui avait une opportunité de boulot intéressante. On y reste pour une période de 18 mois et la date de rentrée en France devrait être aux alentours d’août. Actuellement, je ne travaille pas en tant que kiné-ostéopathe car les Canadiens sont assez protecteurs sur les emplois de la santé. Il y a des processus d’équivalence, mais ils sont coûteux et trop longs par rapport au temps où on reste ici. Du coup, j’enchaîne plusieurs petits boulots, ce qui est très enrichissant. Je pense que sortir de sa zone de confort est quelque chose dont on ne doit pas avoir peur. Cela me permet aussi de perfectionner mon anglais. Je suis tout de même pressé de rentrer en France et remettre la blouse de kiné, car je suis loin de ma famille et il y a le décalage horaire.
Merci beaucoup Jérémie pour ta disponibilité et bravo pour ta carrière !
Crédits photos 2 : FFA Eric Marie
La carrière de Jérémie Azou en quelques lignes :
Jérémie Azou obtient sa première médaille internationale en 2008 avec l’argent des Championnats du monde en quatre de couple poids légers. Il continue ensuite sa carrière en deux de couple poids légers, et remporte l’argent des Championnats du monde 2009 et le bronze des Championnats d’Europe 2010 avec Frédéric Dufour.
A partir de 2012, il est associé à Stany Delayre, avec qui il se classe 4e des Jeux Olympiques de Londres 2012. Le couple devient vice-champion du monde en 2014 puis champion du monde en 2015, ainsi que triple champion d’Europe en 2013, 2014 et 2015. Entre temps, Jérémie Azou remporte l’argent en skiff aux Championnats du monde 2013.
Pour les Jeux Olympiques de Rio 2016, il est associé à Pierre Houin et remporte le titre de champion Olympique. En 2017, le couple est champion d’Europe et champion du monde avant que Jérémie Azou décide de mettre un terme à sa carrière, à l’âge de 28 ans. Aujourd’hui âge de 31 ans, il vit au Canada et compte reprendre son travail de kinésithérapeute à son retour en France.
Participations aux Jeux Olympiques de Londres 2012 et Rio 2016
Médaillé d’or aux Jeux Olympiques de Rio 2016 (deux de couple poids légers hommes)
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