Ancien cycliste professionnel et Champion de France, Serge Beucherie est ensuite devenu directeur sportif. Durant plus de vingt ans, sa collaboration avec Roger Legeay a permis le succès des formations Peugeot, Z, Gan, et entre 1998 et 2008 du Crédit Agricole. En exclusivité pour interviewsport.fr, il revient sur son amitié avec Roger Legeay, son rôle au sein du Crédit Agricole et ses nouveaux projets.
Serge, quel est le meilleur souvenir de votre carrière de cycliste ?
« C’est lorsque j’ai été Champion de France, bien sûr. Ca marque une vie… D’abord parce-que c’est quelque chose d’extraordinaire de passer la ligne d’un Championnat de France en levant les bras : on a un peu de mal à réaliser et il faut un peu de temps d’ailleurs pour le faire ! Et puis après, c’est un titre qui aujourd’hui encore est très présent dans ma vie, même dans ma vie professionnelle. »
Parlez-nous un peu de votre collaboration avec Roger Legeay… Dans quelles conditions l’avez-vous rejoint dans son équipe ? Comment expliquer une si longue fidélité ? Quels sont vos rapports ?
« Avec Roger Legeay, nous étions amis déjà comme coureurs. On s’entendait bien, même si nous n’étions pas dans la même équipe. Après, le hasard a fait que Roger, lorsqu’il a pris la direction sportive de Peugeot (après avoir été adjoint), a fait appel à moi. Je travaillais à l’époque avec Luis Ocana chez Fagor, et depuis très longtemps, j’avais envie de rejoindre Peugeot, déjà comme coureur. Et donc voilà , l’opportunité s’est présentée quand Roger a fait appel à moi.
On a commencé à travailler ensemble en 1986, et cela a duré jusqu’en 2008. Alors les rapports que j’ai pu avoir avec Roger Legeay… D’abord, je crois qu’avant d’être mon boss, c’était un ami et presque un frère, tout en respectant la hiérarchie dans le travail. Pour moi, Roger a été l’un des plus grands directeurs du cyclisme, le cyclisme moderne tel qu’il est aujourd’hui. Il fait partie des gens qui ont œuvré pour professionnaliser le cyclisme. C’est un très grand bonhomme, j’ai toujours été admiratif de ce qu’il faisait. On a travaillé dans la confiance pendant vingt-deux ans, il n’a a jamais eu un mot plus haut que l’autre, il n’y a jamais eu d’engueulade, tout simplement parce-que Roger me faisait confiance et moi je lui faisais confiance aussi. Encore une fois, on était surtout ami en dehors du travail et il nous arrivait de partir en vacances ensemble. Aujourd’hui, alors qu’il n’est plus aux affaires et moi non plus, on continue à prendre l’un ou l’autre des nouvelles quasiment toutes les semaines.
Avec Roger, c’est donc plus qu’une collaboration, et dans cette collaboration on associe Michel Laurent qui nous avait rejoints deux ans après et avec qui on entretient des relations plus qu’amicales, on va dire. »
Vous avez été son directeur sportif adjoint pendant de longues années, avant de devenir directeur sportif numéro 1 de l’équipe Crédit Agricole en 2006… D’où vient ce changement ?
« En fait, j’ai toujours été son adjoint, le numéro 2 de l’équipe si on peut donner des numéros. Seulement, le cyclisme a évolué, la fonction de directeur sportif aussi. Et puis à un moment, Roger ne pouvait plus vraiment assumer la fonction de directeur sportif, donc il m’a confié les rênes de l’équipe au niveau du sportif en 2006. Lui, évidemment, a toujours été le manager général, le patron de l’équipe, mais il a été obligé de déléguer le sportif. »
Quelles sont les principales missions d’un directeur sportif adjoint et quelle est la différence avec le directeur sportif ?
« Les grandes décisions, c’est le directeur sportif qui les prend, par exemple au niveau du recrutement, même si on a toujours travaillé en étroite collaboration. Lorsqu’il recrutait un coureur, c’était toujours une décision collégiale. Mais bien évidemment, la voix prépondérante, c’était la voix du patron, du directeur sportif. La différence au niveau sportif se situe donc dans le choix des coureurs et des sélections, même si encore une fois ça a toujours été des décisions collégiales. Lorsque j’ai pris la direction sportive en 2006, pour la sélection du Tour de France par exemple, on a parlé ensemble avec la direction et après on s’est mis d’accord sur une sélection, et c’est moi qui l’annonçait aux coureurs. Ceci dit, sur les courses, lorsque je dirigeais le Tour d’Italie et que Roger n’était pas là , c’est moi qui prenais les choix stratégiques : on était patron sur la course, et c’était valable lorsque j’étais directeur sportif pour Denis Roux, Jean-Jacques Henry ou Michel Laurent, qui m’assistaient. Chaque directeur sportif était responsable sur sa course. Par exemple, Denis Roux ne prenait pas le téléphone en me disant « Serge, qu’est-ce-que je dois faire ? ». Il savait ce qu’il avait à faire. C’était valable pour moi aussi lorsque j’étais le numéro 2 avec Roger.
Après, qu’est-ce-qui change entre un directeur sportif et un directeur sportif adjoint ? Ca se voit surtout dans le Tour de France, où le patron de l’équipe, le patron du sportif, est au volant de la voiture numéro 1 et son adjoint est en seconde voiture… Mais il m’est arrivé de faire des choix même à l’arrière, c’était très intéressant. C’était un autre travail : Roger suivait le leader et moi je ramenais les gars dans les délais, ou alors ça m’est arrivé de gagner des étapes avec des coureurs, et là , j’étais devant. Je me rappelle par exemple de Cédric Vasseur avec qui j’ai passé ma journée devant : là , je n’étais pas en relation avec Roger parce qu’à l’époque on n’avait pas encore les téléphones portables, et il a fallu prendre des décisions, et au final on a obtenu une victoire d’étape et un maillot jaune ! »
En tant que directeur sportif, quelle a été votre plus belle émotion ?
« Lorsqu’on remonte les Champs Elysées avec le maillot jaune, c’est quelque chose de grand… Il y a notre victoire dans le Tour de France en 1990, le record du monde de l’heure de Chris Boardman… Ceci dit, lorsqu’on gagne le Tour de France et qu’on arrive sur les Champs Elysées, cela fait déjà quelques jours qu’on sait qu’on va gagner le Tour, donc l’émotion n’est pas forcément la même. Par contre, je crois que ce qui m’a le plus ému sur le moment, sur la course, tout de suite après l’arrivée, c’est le chrono par équipe qu’on a gagné en 2001 avec le maillot jaune de Stuart O’Grady dans l’équipe. Là , ça a été quelque chose de très grand et je crois que c’est l’un des plus grands moments de ma vie de directeur sportif émotionnellement parlant ! Et puis une grande émotion, c’est aussi de ramener Colotti de six secondes dans les délais, c’était dans les Pyrénées. C’est quelque chose de magique d’arriver de six secondes dans les délais, alors qu’on entend le speaker qui décompte ! On est tombé dans les bras l’un de l’autres avec Roger, parce qu’on a ramené un type qui était complètement à la dérive et que j’assistais depuis cinq heures. C’est aussi des grands moments, ce ne sont pas que des victoires. »
A la fin de la saison 2008, faute de repreneur, vous avez dû fermer l’équipe… A l’heure actuelle, avez-vous encore des regrets ?
« Non, pour l’instant je n’ai pas de regrets. C’est comme ça, le Crédit Agricole a été un grand sponsor, avec dix ans de sponsoring dans le vélo. C’est arrivé à une période où j’avais peut-être aussi besoin de souffler, et donc je n’ai pas eu plus de regrets que ça…
Le grand regret qu’on a eu, et je crois que c’est toute la direction sportive qui était comme ça, c’est qu’on était arrivé à un point avec cette équipe : on avait l’une des meilleures équipes du monde pour un budget très moyen dans la hiérarchie du Pro Tour (on devait avoir peut-être le quatorzième ou le quinzième budget). On était, il me semble, cinquième en termes de victoires (32 succès), sixième équipe mondiale. Je crois qu’on était vraiment arrivé à la perfection. On avait des coureurs d’expérience comme Halgand et Hinault, qui avaient largement passé la trentaine et qui étaient des exemples pour les autres coureurs, on avait le présent avec Hushovd, qui est un type adorable, exceptionnel à diriger, et qui est vraiment un grand leader, et on avait l’avenir avec nous, avec Pauriol, Roche, Lemoine, Hivert et j’en oublie… On avait plein de bons coureurs comme ça, de quoi faire une très belle équipe ! Alors le regret, en fait, il est là : c’est de ne pas avoir pu aller au bout avec ces coureurs-là . »
Actuellement, avez-vous l’envie de diriger une nouvelle équipe ?
« Oui, bien sûr, j’en envie de rediriger une équipe. J’aimerais bien qu’un partenaire vienne et me demande de remonter une structure et de repartir ! Alors plus dans le même rôle maintenant, plus dans ce rôle de directeur sportif que j’ai été pendant vingt-deux ans, et je crois que c’est aussi la suite logique des choses… Roger, il a été directeur sportif adjoint, puis directeur sportif, et ensuite manager général, parce-que à un moment donné, le terrain c’est pesant. Donc effectivement, j’ai envie de remonter une structure et de refaire une belle équipe si un partenaire se montrait ! »
Depuis l’arrêt de la formation Crédit Agricole, que devenez-vous ? Avez-vous des occupations ?
« Non, je n’ai pas de réelles occupations pour l’instant. Aujourd’hui, je suis un demandeur d’emploi pas malheureux. J’ai travaillé pendant trente ans donc actuellement certes, ce n’est pas une situation qui est confortable, mais ceci dit j’ai encore un peu de visibilité et un petit peu le temps de me retourner. Il ne faut pas que ca traîne, il ne faut pas rester les deux pieds dans le même sabot. Encore une fois, si je pouvais retrouver un partenaire j’aimerais ! J’ai aussi des projets personnels : j’ai un concept que j’aimerais mettre en place, toujours dans le vélo. Mais cette fois-ci, ce ne serait plus dans la compétition, ce serait plutôt dans le cyclotourisme. Tout ça, ce sont des projets qui sont sur le papier et qui demandent à sortir et puis se mettre ne place. »
Pour finir, parmi tous les coureurs que vous avez dirigés, quels sont ceux qui vous ont le plus marqué ?
« Je dirais bien sûr Greg Lemond, Chris Boardman et puis plus récemment Thor Hushovd. Alors j’en oublie, on ne peut pas tous les citer : on a eu des O’Grady, des Voigt, des Duclos-Lassalle… Il y a eu plein de coureurs qui nous ont apporté plein de satisfaction bien sûr, mais ceux qui m’ont le plus marqué je crois que ce sont Lemond, Boardman et Hushovd. »
Merci beaucoup Serge pour votre gentillesse et votre disponibilité !
La carrière de Serge Beucherie en quelques lignes :
Après une très belle carrière amateur, Serge Beucherie devient professionnel en 1978 au sein de l’équipe Fiat. Il y reste deux ans, participe Ă deux Tours de France et remporte une Ă©tape aux 4 Jours de Dunkerque. Sans Ă©quipe pendant un an, il rejoint en 1981 la formation Sem – France Loire-Campagnolo. Il devient alors Champion de France en juin, avant de terminer 33e du Tour de France. En 1982, il remporte le Tour de VendĂ©e. Il arrĂŞte sa carrière en 1984.
L’année suivante, il devient directeur sportif et collabore pendant une saison avec Luis Ocana. En 1986, Roger Legeay fait appel à lui pour le seconder au sein de l’équipe Peugeot. Leur collaboration au sein de Peugeot, Z, Gan et du Crédit Agricole dure jusqu’en 2008. Serge Beucherie aura donc durant plus de 20 ans dirigé des coureurs de talent, tels Lemond, Boardman, O’Grady, Voigt et Hushovd.
Pour en savoir plus sur Serge, visitez son site officiel : sergebeucherie-events.com
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