A 30 ans, Romain Heinrich compte deux participations aux Jeux Olympiques en bobsleigh : Sotchi 2014 en tant que pousseur et Pyeongchang 2018 en tant que pilote. Après un premier podium en Coupe du monde en 2019, il vise une médaille aux Jeux Olympiques de Pékin 2022.
Romain, tu as fait du lancer de poids avant de commencer le bobsleigh. Peux-tu tout d’abord nous raconter comment tu en es arrivé au bobsleigh ?
J’ai découvert le bobsleigh en mars 2011 dans le cadre d’une détection faite autour du pilote Loïc Costerg. Il cherchait à monter un équipage junior autour de lui. Je faisais partie des athlètes de la région Rhône-Alpes qui avaient été détectés pour venir essayer. J’avais des qualités de force et d’explosivité grâce à mon profil de lanceur. Cela a assez vite marché pour moi, d’abord sur le rôle de pousseur. Je me suis investi derrière Loïc pendant cinq ans et on a participé ensemble aux Jeux de Sotchi 2014. A noter que quand j’ai rejoint ce sport, il était à l’arrêt au haut niveau en France. La seule chose qu’on espérait était de réussir à relancer une équipe.
Tu as participé à tes premiers Jeux Olympiques en 2014 à Sotchi en tant que pousseur, terminant 18e du bob à deux et 15e du bob à quatre. Pour tes premiers Jeux Olympiques, étais-tu satisfait de ces résultats ?
Oui. Sur cette Olympiade, l’objectif était clairement de se qualifier. A l’époque, cette qualification s’était faite en grande partie grâce au soutien important du club de la Plagne. Il n’y avait pas de budget ministériel et on avait des financements très limités, venant de la Plagne et de quelques sponsors qu’on avait trouvés. Avec les moyens qu’on avait, on ne pouvait pas espérer faire mieux qu’une place en milieu de classement. Terminer 15e du bob à quatre était plutôt bien. Etre 18e du bob à deux n’était pas un résultat optimisé et on aurait pu viser un peu mieux ce jour-là , mais cela aurait été de toute façon une place en milieu de classement. On était très satisfaits de ces résultats. Sur le plan humain, cela avait été une très belle aventure de trois ans avec mes coéquipiers de l’époque. On était très contents d’avoir réussi à mener ce projet au bout.
Tu es ensuite passé du rôle de pousseur à celui de pilote du bob. Quand et pourquoi as-tu eu l’idée de changer de rôle ?
En 2014, j’ai terminé le cycle Olympique et aussi mes études d’ingénieur et de management. J’avais fait exprès de synchroniser les deux de façon à ce que je puisse décider après les Jeux de Sotchi si je continuais à m’investir dans le sport ou si je rentrais sur le marché du travail de façon plus classique. Dans le cadre de cette réflexion, je me suis demandé quelle serait ma motivation à continuer à faire du bob. Ce n’était pas de me requalifier pour les Jeux Olympiques, mais c’était de faire un jour des podiums internationaux. Ma motivation était le très haut niveau. Dans cette réflexion générale, j’ai pensé que Loïc était un très bon pilote mais qu’il avait des qualités physiques un peu limitées pour pousser car il n’était pas issu de l’athlétisme. Je me suis dit que même si j’étais un jour le meilleur pousseur du monde, notre poussée serait limitée et on n’arriverait pas à réaliser des podiums ensemble. Il fallait donc prendre une décision. J’ai discuté avec la Fédération. J’ai aussi regardé ce qui se faisait à l’international : d’autres nations avaient des programmes de développement auprès de leurs meilleurs pousseurs pour leur apprendre à piloter. Je me suis inspiré un peu de ça et j’ai monté mon propre projet avec la volonté de devenir pilote. Je pensais que cela permettrait de monter un jour une équipe compétitive.
« Dans le pilotage, il y a beaucoup de mémorisation et des prises de décision qu’il faut être capable de prendre en une fraction de seconde »
Peux-tu nous raconter tes débuts en tant que pilote ?
J’ai découvert une dimension que je ne connaissais pas du tout : l’effort mental. Dans le pilotage, il y a beaucoup de mémorisation et des prises de décision qu’il faut être capable de prendre en une fraction de seconde. Il faut chercher à automatiser un certain nombre de choses. Il y a aussi de l’analyse. J’ai attrapé le virus du pilotage et j’en suis tombé passionné. Mais au début, ça m’a causé beaucoup de nœuds au cerveau et surtout beaucoup de stress. Quand tu apprends à piloter, tu fais quelques chutes. Et tu as des coéquipiers derrière toi qui te font confiance. Je me suis rendu compte en étant pilote que la confiance se mérite et qu’il fallait la gagner. Cela m’a beaucoup marqué au début de mon cursus d’apprentissage.
Tu as réussi à te qualifier pour les Jeux Olympiques de Pyeongchang 2018 peu de temps après être devenu pilote. On imagine que c’est une fierté ?
En général, on dit qu’il faut cinq ans pour former un pilote. Cette temporalité ne raisonnait pas du tout dans ma tête. Je me suis dit que j’avais trois ans au lieu de cinq pour sortir du lot et me qualifier pour Pyeongchang. Je me suis vraiment beaucoup investi pour pouvoir acquérir un maximum d’expérience et essayer de me qualifier. J’ai fait des stages intensifs et j’ai effectué plus de descentes que n’importe quel autre pilote dans le monde pendant deux ans. Cela était un vrai challenge. Mes parents m’ont soutenu à 100%. Ils m’ont aidé à acheter un bob et à partir en stages et en compétitions. La qualification aux Jeux Olympiques était pour moi un soulagement et une fierté : j’avais réussi ce défi !
Tu as terminé 13e du bob à deux aux Jeux Olympiques de Pyeongchang. Comment as-tu vécu cette course de l’intérieur ?
Pour les Jeux Olympiques, la compétition en elle-même était particulière parce que c’était la première fois que je faisais une compétition avec mon coéquipier Dorian Hauterville, qui est aujourd’hui le meilleur pousseur de mon équipage. A l’époque, Loïc Costerg s’était spécialisé dans le bob à quatre et je m’étais spécialisé dans le bob à deux. On avait chacun des coéquipiers différents tout au long de l’année. Mais pour les Jeux Olympiques, il y avait des quotas par pays pour le nombre d’athlètes et j’ai été obligé de faire ma compétition avec un coéquipier de l’équipe de Loïc. Et pour certaines raisons, les coachs avaient à l’époque laissé les deux collectifs séparés jusqu’à la dernière minute.
On a construit une belle course aux Jeux Olympiques. Lors du premier jour de compétition, on a manqué un peu de repères avec Dorian malgré les entraînements et on était classés 17e. Lors de la deuxième journée, on a fait une belle remontée jusqu’à la 13e place. A noter qu’on a réalisé le 7e temps sur la quatrième et dernière descente des Jeux Olympiques. Pour Dorian et moi, cela a vraiment été un déclic. On s’est dit qu’il suffisait de plus de pratique ensemble pour pouvoir jouer dans le premier groupe !
De façon plus globale, quels souvenirs gardes-tu de ces Jeux Olympiques de Pyeongchang ?
J’ai trouvé qu’il y avait une communion très chaleureuse avec le public. Il y avait une belle ferveur sur les Jeux, dans un esprit culturel asiatique et de savoir-vivre à la coréenne. Il y avait vraiment une atmosphère très belle sur tous les sites des Jeux Olympiques.
« On vise la médaille aux Jeux Olympiques 2022 »
En 2019, tu as remporté la médaille de bronze des Championnats d’Europe en bob à deux. Est-ce le meilleur souvenir de ta carrière à ce jour ?
Non. Le meilleur souvenir de ma carrière est la deuxième place en Coupe du monde à Lake Placid cette même année. Il s’agit d’une piste particulièrement dangereuse et y gagner une médaille d’argent marquait un changement de statut en termes de pilotages : cela montrait que j’étais capable de surmonter toutes mes émotions et d’aller chercher des trajectoires qui vont vite.
En ce qui concerne notre évolution, on était au 40e rang mondial en 2017, au 21e rang mondial en 2018 et au 6e rang mondial en 2019. C’était une saison très aboutie et les deux temps forts de la saison 2019 étaient le podium à Lake Placid et la médaille de bronze aux Championnats d’Europe, qui était une première en bob à deux français et qui était la première médaille internationale depuis 20 ans en France.
Le matériel et les conditions d’entraînements sont très importants en bobsleigh. Quelle est la situation du bob français par rapport à la concurrence ?
Je suis dans le bob depuis 2011. En 10 ans, j’ai vu énormément d’évolution dans ce sport en France. On est passé d’un sport financé uniquement par un club, La Plagne, à un sport qui a actuellement un programme avec un projet de médaille Olympique et qui est soutenu par le Ministère des Sports et par la Fédération. Il y a un encadrement proportionné à la taille de l’équipe. Aujourd’hui, les moyens en France sont propices à la performance. On le doit à la fois aux différents résultats progressifs qu’on a réussis à installer à l’époque de Loïc et depuis que je suis passé pilote, et à la fois à quelques dirigeants de la Fédération des Sports de glace qui ont cru en nous. J’en suis très reconnaissant.
Bien sûr, si on se compare à certaines nations et à certains de nos concurrents directs, il reste toujours du chemin à parcourir en termes de budget, de structures et de situation des athlètes. Mais il faut accepter que certaines nations aient une culture du bobsleigh plus importante qu’en France. Je considère qu’on a tous les éléments pour être bons et performants ! On a peut-être un peu moins de confort que certaines nations mais les ingrédients sont là . A nous d’apporter ce supplément d’âme pour que ça marche !
Pour finir, quels sont tes objectifs pour la saison prochaine ainsi que pour les Jeux Olympiques de PĂ©kin 2022 ?
En 2019, on était au 6e rang mondial. En 2020, on était au 5e rang mondial. Il reste 2021 et 2022. L’objectif affiché en 2022, c’est d’être prétendant au podium Olympique. Pour cela, il faut qu’on arrive à renforcer notre classement mondial. L’année prochaine, on souhaite remonter au moins une fois sur le podium de Coupe du monde et être dans le top 6 aux Championnats du monde. Ils auront lieu à Lake Placid, là où ça a bien souri pour nous l’année dernière. En bobsleigh, le top 6 est souvent très serré. On souhaiterait valider le niveau top 6 sur un grand championnat car il peut ensuite tout se passer. Ensuite, on vise la médaille aux Jeux Olympiques 2022 !
Merci beaucoup Romain pour ta disponibilité et bonne chance pour la saison prochaine !
La carrière de Romain Heinrich en quelques lignes :
Après avoir fait du lancer de poids, Romain Heinrich débute le bobsleigh à l’âge de 21 ans. Il participe aux Jeux Olympiques de Sotchi 2014 en tant que pousseur du pilote Loïc Costerg et termine 18e du bob à 2 et 15e du bob à 4.
Il décide ensuite de passer au poste de pilote. Il réussit à se qualifier pour les Jeux Olympiques de Pyeongchang 2018, où il termine 13e du bob à 2 avec son pousseur Dorian Hauterville.
Il continue ensuite sa progression en bob à 2. En 2019, il remporte la médaille de bronze des Championnats d’Europe et signe une 2e place lors de la Coupe du monde de Lake Placid. En 2020, il se classe 5e du classement général de la Coupe du monde. Aujourd’hui âgé de 30 ans, Romain Heinrich vise le podium aux Jeux Olympiques de Pékin 2022.
Participations aux Jeux Olympiques de Sotchi 2014 et Pyeongchang 2018
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