Il y a 10 ans, Maureen Nisima devenait championne du monde Ă Paris. A l’occasion de cet anniversaire, nous l’avons interrogĂ©e sur ses souvenirs de cette journĂ©e exceptionnelle, sur ses deux mĂ©dailles de bronze remportĂ©es aux Jeux Olympiques d’Athènes 2004 ainsi que sur sa reconversion.
Maureen, tu es devenue championne du monde à Paris en 2010, il y a 10 ans. Raconte-nous tes souvenirs de cette journée ?
Je pense que cette journée faisait partie de ces jours d’état de grâce, comme cela m’était aussi arrivé lors des Jeux Olympiques d’Athènes 2004. Je suis arrivée le matin et j’ai embrassé ma mère et mon petit frère avant de regagner le camp de base. Quand je suis entrée dans la salle pour mon premier match, je me rappelle avoir vu toute ma famille qui avait fait le voyage depuis la Martinique. J’avais un kop énorme. Mes supporters faisaient beaucoup de bruit et je n’entendais pas l’arbitre ! Cela m’a portée toute la journée. Je me rappelle aussi avoir demandé à mes coéquipières dans les tribunes des conseils de coaching sur certaines adversaires.
J’ai franchi les matches les uns après les autres. A part le gros stress du démarrage, je n’ai pas trop eu peur. J’ai franchi le cap des quarts-de-finale sur une piste annexe très près du public et de mes supporters. Cela a déstabilisé mon adversaire. J’ai des blackouts, notamment sur la demi-finale et la finale, où je ne me souviens pas de toutes les touches. J’ai eu l’impression d’être un peu en pilote automatique. La mort subite en demi-finale a été très, très tendue. J’ai réussi à lâcher prise grâce à mon expérience précédente de cet état de grâce à Athènes. Je pense que j’ai eu une aussi grosse expression de joie en demi-finale qu’en finale parce que la demi-finale était très serrée. Mais je suis restée calme et concentrée jusqu’au bout. Je savais ce que j’étais venue chercher. Sur la finale, j’ai eu une très grosse expression de joie car j’avais remporté auparavant le bronze et l’argent aux Championnats du monde, mais jamais l’or en individuel.
Tu as remporté ce titre à Paris, au Grand Palais. Concourir devant le public français et dans cette salle prestigieuse a-t-il joué un rôle selon toi ?
C’est clair ! Avec le recul, je pense que j’étais une athlète des grands événements. Je n’ai jamais été autant galvanisée qu’en grand championnat. Faire ces Championnats du monde au Grand Palais était extraordinaire. Médaillée ou pas, j’aurais eu à jamais un souvenir dans ce lieu mythique. En escrime, on a des Championnats du monde tous les ans sauf les années Olympiques. Selon les pays organisateurs, il y a plus ou moins de monde. Là , non seulement c’était blindé mais en plus le lieu était très prestigieux. Même les étrangers nous ont dit qu’ils n’avaient jamais vu de si beaux Championnats du monde. J’avais cette fierté de faire partie de cette équipe et de ce pays qui proposait de beaux Championnats du monde. Il y avait aussi la fierté d’être devant ma famille et mes amis qui avaient payé le billet d’avion pour venir me voir. Ils étaient une cinquantaine ! Avoir le public pour soi est une force qui fait la différence dans les moments un peu compliqués où on peut douter. Je pense que ça m’a vraiment portée. Le fait que ce soit à Paris et au Grand Palais m’a donné des frissons !
Un autre grand moment de ta carrière est les Jeux Olympiques d’Athènes 2004, où tu as remporté à l’âge de 23 ans deux médailles de bronze, en individuel et par équipe. A l’époque, ces deux médailles étaient-elles un objectif clair avant la compétition ou bien une bonne surprise ?
J’avais pour objectif de gagner deux médailles. Quand je suis arrivée aux Jeux, j’étais numéro 2 mondiale et Laura Flessel était numéro 1. J’avais été sur le podium quasiment toute la saison donc je faisais partie des favorites. Mais je savais que la pression des Jeux Olympiques n’a rien à voir avec les Coupes du monde. Dans ma tête, j’étais donc la challenger. Mais la challenger qui allait chercher deux médailles.
J’en ai rêvé très longtemps. Cela a été très dur de se qualifier. En escrime, la qualification par équipe débloque un quota de trois places en individuel. Si l’équipe n’est pas qualifiée, une seule fille peut aller aux Jeux via le classement mondial individuel. Or, on est sur un continent très fort et le niveau est plus élevé que d’habitude sur les années de qualification Olympique. On a eu beaucoup de mal à se qualifier par équipe : on a eu notre ticket sur le dernier match de la dernière compétition de la saison ! Mais une fois qualifiée, j’avais envie de tout casser aux Jeux Olympiques !
« Je pense que cette journée faisait partie de ces jours d’état de grâce »
Lors des Jeux Olympiques d’Athènes, tu as perdu en demi-finale de l’individuel avant de remporter la petite finale. Comment as-tu réussi à te remotiver après ta défaite pour ensuite remporter le bronze ?
Il y avait un laps de temps très court de 20 minutes environ entre les deux matches. C’était difficile de se remobiliser car l’enjeu était énorme. En demi-finale, j’ai perdu à la mort subite contre la Hongroise Timea Nagy, qui était championne Olympique en titre. Elle était très expérimentée et je pense que sa roublardise et son expérience ont fait la différence. Ma fraicheur et ma fougue n’ont pas été suffisantes pour aller la chercher. Après ma défaite, j’étais effondrée. D’autant plus que j’ai vu ensuite Laura Flessel remporter sa demi-finale contre une autre Hongroise, Ildiko Mincza-Nébald. On aurait ainsi pu avoir une finale franco-française.
Après ma défaite, ma coéquipière Hajnalka Kiraly est venue me voir. Elle avait fait partie de l’équipe de Hongrie avant de tirer pour la France. Elle m’a raconté que quand Mincza était en chambre d’appel et a vu que j’avais perdu, cette dernière a dit : « c’est bon, j’ai la médaille ! ». Mincza était ma bête noire et elle était persuadée qu’elle allait encore gagner cette fois-là . Quand Hajnalka m’a raconté ça, elle a rallumé le feu en moi !
Au début du match, j’étais encore un peu abattue. Mon entraîneur était dans les gradins car il n’avait pas d’accréditation et me coachait un peu à distance, mais ce n’était pas évident. A un moment, je me suis dit : « Mais tu es venue là pour perdre ? En plus contre elle ? Ma vieille, si tu veux ta médaille et que tu penses qu’elle est pour toi parce que tu m’as battue toute l’année, il va vraiment falloir que tu viennes me chercher, je ne te fais plus de cadeau ! ». Tout ce que j’avais fait contre elle pendant l’année n’avait pas fonctionné, alors j’ai décidé de faire l’inverse. J’ai fait des choses qu’elle n’attendait pas. Elle a été surprise, j’ai remonté le score et je suis passée devant. Elle n’a pas su comment réagir !
Comment s’est passée la préparation pour la petite finale dans la compétition par équipe ?
Ce qui a été dur dans la compétition par équipe, c’est que l’attente a été très longue. Il y a eu quasiment six heures entre la demi-finale perdue et le match pour la troisième place. En demi-finale, on a perdu à la mort subite contre les Allemandes, qui étaient des adversaires avec qui c’était toujours très serré. On s’attendait à rencontrer les Hongroises pour la médaille de bronze, mais on a été très surprises car elles ont été battues par les Canadiennes en quarts-de-finale. On a donc rencontré les Canadiennes pour la médaille de bronze. C’était plutôt positif car leur niveau plus faible que la Hongrie sur le papier.
Aux Jeux Olympiques, il n’y a que trois places dans l’équipe alors qu’on a été quatre à aller chercher la qualification pendant la saison. La remplaçante ne vit pas au Village Olympique et ne tire pas l’individuel. Elle nous rejoint le matin de la compétition par équipe et elle passe toute la journée sur le banc. Si jamais elle rentre, elle a la médaille, mais si elle ne rentre pas, elle n’a pas de médaille. Et si elle rentre, elle intègre le Village Olympique mais elle fait désaccréditer la fille qu’elle a remplacée. Laura Flessel, Hajnalka Kiraly et moi étions titulaires. Sarah Daninthe était notre remplaçante. Ce n’était pas une ambiance facile car on se disait que si on remportait une médaille, Sarah n’en aura pas. Mais en même temps, on est venues pour remporter une médaille ! Entre les deux matchs, on s’est retrouvées dans l’appartement des remplaçants afin de ne pas retourner au Village Olympique. On a discuté de la stratégie. On a essayé de se répartir les responsabilités et notamment décider de qui allait finir le match. Puis on est parties et on s’est échauffé comme si c’était une deuxième compétition qui commençait.
Le match s’est plutôt bien passé. Mais sur le dernier relais, je me suis faite mal au genou. Après être tombée deux fois, le médecin a décidé de me faire sortir et de faire entrer ma coéquipière Sarah. Elle allait ainsi recevoir une médaille et rejoindre le Village Olympique. Mais cela signifiait aussi que j’allais être exclue du Village Olympique. On a gagné cette médaille de bronze. J’étais très contente et soulagée pour Sarah et je crois que je n’aurais pas vécu cette médaille de la même façon si elle ne l’avait pas eue. En revanche, j’étais sur un pied et j’étais inquiète de me faire exclure du Village pour la deuxième semaine. Heureusement, avec le Comité Olympique Français, on a réussi à faire en sorte que je puisse quand même rester au Village.
As-tu senti toute la magie Olympique lors de ces Jeux Olympiques d’Athènes ?
Oui. Au-delà des médailles, il y a plein de choses à vivre aux Jeux. Un matin, j’ai pris mon petit déjeuner aux côtés de Gustavo Kuerten. J’ai été avec les sprinteurs Jamaïcains dans une navette et j’ai discuté avec eux. Il y a tellement de choses qui peuvent se passer aux Jeux et qui sont extraordinaires. C’est à vivre !
Malgré une longue carrière et de nombreuses médailles, tu n’as participé qu’une fois aux Jeux Olympiques. Cela reste-t-il un grand regret ?
J’ai l’impression d’avoir fait tout ce que je pouvais faire pour y participer de nouveau donc je ne pense pas qu’on puisse parler de regrets. Cela ne dépendait pas que de moi. Pour les Jeux Olympiques de Rio, j’ai clairement eu l’impression qu’on s’est servi de moi pour la qualification. L’équipe était très jeune et le coach était à l’époque un peu novice dans l’aventure de qualification. J’avais l’impression qu’il y avait l’équipe des athlètes d’un côté et l’équipe des coaches de l’autre. Les filles me faisaient confiance. Mon objectif était qu’on aille aux Jeux ensemble. Je pense que le fait que j’étais expérimentée et que les coaches n’aient pas fait corps avec nous a remis en question leur autorité. Ils ont eu l’impression que j’avais plus de poids que ce que j’aurais dû.
Une année Olympique est toujours particulière car les gens tirent en étant moins libérés. Les adversaires verrouillaient le jeu contre moi et c’était difficile de faire la différence avec un score fleuve et de me montrer indispensable dans cette équipe. Je revenais de deux saisons de break sportif et je n’étais donc pas dans la même forme qu’avant. J’avais aussi mon boulot à côté. Cela a été difficile de faire prendre conscience aux coaches de prendre en compte ces particularités. Je pense qu’il s’est passé quelque chose qui n’était pas de l’ordre du sportif.
L’équipe s’est qualifiée pour les Jeux de Rio, mais je n’ai pas été sélectionnée. Le jour où on annonce les sélections, les athlètes en lice et non-retenus sont généralement appelés avant. Moi, on ne m’a pas appelée avant et on m’a annoncé ma non-sélection devant tout le monde. Et surtout, on ne m’a pas donné d’explications, alors que j’avais été toute l’année dans l’équipe qui avait été chercher cette qualification et que j’avais eu une progression constante sur toute la saison. J’étais suppléante, soit après la remplaçante. Les suppléantes sont censées faire la préparation avec le reste de l’équipe. Mais on m’a dit que comme j’étais suppléante et que c’était ma fin de carrière, je n’étais pas obligée de faire les stages. J’ai trouvé que c’était de l’irrespect profond. Je n’ai pas lâché les filles. Même si je ne faisais pas les Jeux, je suis allée au bout et j’ai fait tous les stages.
« Un matin, j’ai pris mon petit déjeuner aux côtés de Gustavo Kuerten »
Tu as finalement eu des explications sur ta non-sélection pour les Jeux Olympiques de Rio 2016 ?
Pendant un stage, j’ai demandé des explications à l’entraîneur. J’ai compris qu’il y avait eu une discrimination par l’âge. Pour pouvoir être sélectionnée, étant donné mon âge et mon expérience, il aurait fallu que je fasse des résultats meilleurs que toutes les autres. Ce goût amer de ma dernière année m’est resté. J’ai fait une petite dépression après. Je me dis que ces gens qui ne sont que de passage dans ta vie d’athlète sont capables de faire de très gros dégâts et ne voient pas le mal. Le résultat sportif est une chose mais la relation humaine est aussi importante.
Tu as commencé à travailler chez L’Oréal en parallèle de ta carrière sportive. Peux-tu nous expliquer comment cela s’est passé ?
Après mon titre de championne du monde 2010, je suis passée dans l’émission de Laurent Ruquier et j’ai été remarquée par des gens de chez L’Oréal car j’avais eu un parcours professionnel assez atypique dont une expérience et des diplômes en coiffure. Ils m’ont proposé de venir les rencontrer. Au début, je pensais que c’était pour effectuer un team building ou une conférence. Je suis arrivée dans le bureau de Jean-Claude Legrand, le boss de la diversité chez L’Oréal. Il m’a dit : « On vous a repéré, votre profil nous plaît vraiment, que peut-on faire pour vous ? ». Cela faisait des mois et des mois que je cherchais du boulot et franchement, j’étais prête à aller bosser au McDo. Mon contrat avec le Ministère de la Défense s’était arrêté quelques mois auparavant et je venais d’acheter un appartement. J’avais un petit salaire de mon club, mais ce n’était pas suffisant pour assumer le crédit et pour payer mon équipe composée d’un kiné, d’un préparateur physique et d’un préparateur mental.
Je suis ainsi entrée chez L’Oréal en juillet 2011. J’ai eu une Convention d’Insertion Professionnelle, qui me permettait d’être en CDI et payée plein temps tout en étant libérée pour aller à l’entraînement et en compétitions. J’avais besoin de faire autre chose que de l’escrime au quotidien et de me sentir utile. La saison 2011-2012 a été l’année de la qualification pour les Jeux Olympiques de Londres. Je me sentais capable de concilier les deux, sport et travail, mais j’ai été très fatiguée.
Tu as mis ta carrière sportive entre parenthèses pendant deux ans, entre 2012 et 2014, pour te consacrer à ta vie professionnelle. Pourquoi as-tu pris cette décision ?
Quand j’ai su que je n’allais pas me qualifier pour les JO de Londres, j’étais très déçue. Je me suis dit que c’était peut-être le moment d’assurer ma reconversion professionnelle et de faire un break. C’était la deuxième Olympiade que je ratais. J’ai fait un break de deux années et je me suis investie à fond dans mon job. J’ai beaucoup appris.
Le retour à l’entraînement et à la compétition après cette pause a-t-il été difficile ?
Oui, ça a été très difficile. L’entraîneur avec qui j’ai été championne du monde a arrêté après les JO de Londres et son adjoint est devenu l’entraîneur en chef. Je n’avais pas forcément la même vision de l’escrime que lui. Je ne remets pas en cause ses compétences, mais on n’avait pas d’affinités techniques. Cela était déstabilisant. Je suis aussi revenue avec 14 kilos de plus. Le premier mois après mon retour, j’ai eu une fracture de fatigue du pied causant huit semaines d’arrêt. En revenant, j’ai récidivé avec la fracture du pied. J’ai donc commencé le retour par seize semaines d’arrêt pour blessure. Enfin, je n’ai pas eu l’impression d’être accompagnée comme il fallait pour revenir à mon meilleur niveau. Des gens ne croyaient pas nécessairement dans mon projet et ne s’investissaient pas dans mon retour. J’ai eu l’impression d’être très seule. J’ai fait appel à d’autres entraîneurs, que j’avais eus dans le passé, et j’ai pu retrouver mes repères grâce à eux. Par contre, j’ai pu retrouver ma Convention d’Insertion Professionnelle grâce à L’Oréal, à la Fédération et au Ministère, et j’ai réintégré l’INSEP. Mes coéquipières m’ont très bien accueillie.
Que deviens-tu depuis l’arrêt de ta carrière en 2017 ?
Depuis 2018, je suis conceptrice pédagogique pour les marques Kérastase et Shu Uemura Art of Hair. Ce sont deux marques de luxe au sein de la division des produits professionnels. Je conçois les supports de formation, qu’ils soient en physique ou bien en e-learning.
A côté de ça, je suis depuis fin 2016 sélectionneur de l’équipe de France féminine d’épée dames. On me l’a proposé et j’ai accepté car c’était pour moi la continuité de ce que j’avais fait pendant les deux dernières années : transmettre aux plus jeunes et les soutenir. J’essaie de faire des choses un peu différentes, de créer du lien et de faire intervenir des gens de l’extérieur.
Merci Maureen pour ta disponibilité et bravo pour ton titre il y a 10 ans !
La carrière de Maureen Nisima en quelques lignes :
Spécialiste de l’épée, Maureen Nisima participe à ses premiers Championnats du monde en 2001. Elle devient championne d’Europe en 2002 et vice-championne du monde en 2003. Lors des Jeux Olympiques d’Athènes 2004, elle parvient à remporter deux médailles de bronze, en individuel et par équipe. En 2007, elle remporte le bronze des Championnats du monde. Elle devient championne du monde en 2010 à Paris.
Elle brille aussi en compétition par équipe avec la France aux Championnats du monde avec trois titres de championne du monde (2005, 2007, 2008) et une médaille de bronze (2006) ainsi qu’aux Championnats d’Europe avec trois médailles de bronze (2007, 2010, 2011).
Non qualifiée pour les Jeux Olympiques de Londres 2012, elle met sa carrière entre parenthèses entre 2012 et 2014 afin de se consacrer à sa vie professionnelle. Elle n’est pas sélectionnée pour les Jeux Olympiques de Rio 2016 et met un terme à sa carrière début 2017. Aujourd’hui, Maureen Nisima travaille chez L’Oréal.
Participation aux Jeux Olympiques d’Athènes 2004
Médaillée de bronze aux Jeux Olympiques d’Athènes 2004 (épée individuelle et épée par équipe)
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