Il y a 10 ans jour pour jour, Marion Rolland crĂ©ait la surprise en devenant championne du monde de descente. Il s’agissait de la première française Ă remporter ce titre depuis 47 ans. Elle revient pour nous sur cette performance exceptionnelle.
Marion, tu es devenue championne du monde de descente il y a exactement dix ans à Schladming, en Autriche. Dans quel état d’esprit étais-tu en arrivant à ces Championnats du monde ?
J’étais remontée à bloc et j’étais très motivée pour ces Championnats du monde. Je revenais à Schladming, sur la piste où j’avais réalisé deux podiums lors des finales de Coupe du monde l’année précédente. J’avais effectué un bon début de saison et je suis arrivée bien en forme. J’avais en tête que je pouvais faire de belles choses. Pour une fois, je croyais un peu plus en moi !
Peux-tu nous raconter comment tu as vécu cette course de l’intérieur ? Sentais-tu pendant la descente que tu réalisais une telle performance ?
J’ai rarement eu des gros souvenirs de mes courses et j’aurais donc du mal à décrire ce que j’ai ressenti pendant cette descente. Je me souviens juste que je savais que j’étais sur de bonnes trajectoires et que je me suis parlé, comme à chaque fois, en me disant par exemple : « allez, lâche rien ! ».
En descente, c’est difficile de se juger pendant la course. Si on se sent trop bien, cela signifie souvent qu’on ne laisse pas trop les skis filer, et le résultat n’est alors pas aussi bien que ce qu’on a pu imaginer. Si on est trop à la limite, cela peut être lié à des fautes liées à la vitesse et cela peut être une bonne surprise sur le temps final.
A l’arrivée, j’avais beaucoup de vitesse, je me suis arrêtée, j’ai relevé la tête et j’ai vu du vert sur l’écran géant qui se situait pile en face de la ligne d’arrivée. J’ai ainsi su assez vite que j’avais fait une bonne course. Je n’ai pas vu le temps tout de suite. Ayant le dossard 22, je savais que le fait de prendre la tête du classement provisoire était le signe d’un bon résultat ! Sur les images, on voit que j’exulte et que je crie !
« Ayant le dossard 22, je savais que le fait de prendre la tête du classement provisoire était le signe d’un bon résultat ! »
Comment as-tu géré la période après ton titre de championne du monde et ton nouveau statut ?
Avec le recul, cela a été assez compliqué. Mais je ne m’en suis pas vraiment rendu compte sur le coup. J’ai été un peu emportée dans une euphorie générale. J’ai suivi le rythme imposé par toutes les obligations. Je suis d’abord restée sur place pour la remise des prix le soir, alors que toute l’équipe serait sûrement rentrée directement en France s’il n’y avait pas eu de podium. J’ai répondu à pas mal d’interviews l’après-midi et le lendemain de la course. Après, je suis rentrée en France et j’ai fait la tournée des médias. Je suis montée sur Paris pour répondre à toutes les demandes. Cela faisait 47 ans qu’il n’y avait pas eu de championne du monde française en descente !
J’ai donc été emportée dans un rythme médiatique assez intense. Cela a bien coupé ma saison car les Championnats du monde étaient en février et il restait des courses jusqu’à fin mars. Cela a été à la fois beaucoup d’euphorie et d’énergie positive, et à la fois pas mal de fatigue pour la fin de saison. C’était intense et super à vivre ! Par contre, quand tout est retombé une fois la saison terminée, j’ai senti que j’avais beaucoup donné physiquement et psychologiquement !
Tu as signé les deux podiums de Coupe du monde de ta carrière lors du Super-G et de la descente des finales de Coupe du monde à Schladming, en mars 2012. Comment expliques-tu un tel succès sur cette piste, où tu es également devenue championne du monde ?
Je ne peux pas l’expliquer concrètement. Le ski est un sport de sensations. Sur certaines pistes, on se sent mieux que sur d’autres. Je fonctionne beaucoup aux sensations et aux émotions. La piste de Schladming m’a tout de suite plu et réussi. Quand je suis en confiance et que je me sens bien, j’arrive beaucoup mieux à lâcher et à être performante.
Revenons en arrière. En 2009, tu as terminé cinquième de la descente des Championnats du monde de Val d’Isère. On imagine que tu gardes un bon souvenir de cette course devant le public français ?
Oui ! C’était la première fois que je participais à un Championnat du monde et c’était en France, à la maison ! Les courses avaient lieu sur une piste qu’on ne connaissait pas si bien. Mais on avait eu la chance de pouvoir s’entraîner un peu dessus, contrairement aux autres nations, ce qui nous donnait un petit avantage. Les organisateurs avaient tout fait pour que le public régional et français puisse venir assez facilement et il y avait vraiment beaucoup de public. On était donc très bien soutenus. Lorsqu’on sortait de la dernière bosse de la descente, on entendait la foule derrière nous ! C’était énorme à vivre ! Et le fait de terminer cinquième de la descente était mon meilleur résultat sur une course internationale à l’époque. J’étais donc aux anges et très fière d’avoir réussi une belle course !
En 2010, tu as participé aux Jeux Olympiques de Vancouver mais tu es tombée dès les premiers mètres de course, avec à la clé une rupture des ligaments croisés. Malgré cette dure expérience, gardes-tu quand même de bons souvenirs de ces Jeux Olympiques ?
Il y a eu plein de choses géniales à vivre, en particulier la cérémonie d’ouverture, le fait d’être tous ensemble dans le team France et de voir d’autres sportifs qu’on n’a pas l’habitude de croiser sur le reste de la saison.
Mais même avant ma blessure, j’avais des sentiments mitigés car j’ai trouvé que l’organisation de l’événement ne prenait pas en compte le côté sportif. On a eu une semaine de course compliquée, avec des mauvaises conditions de course. Malgré cela, j’ai senti qu’il fallait que les courses aient lieu car c’étaient les Jeux Olympiques. On a mis une semaine à arriver à réaliser un demi-entraînement et il était aberrant : on a fait les trois-quarts de la piste et ils nous ont arrêtées avant la bosse d’arrivée, car celle-ci était utilisée par les garçons qui eux-mêmes faisaient leur entraînement. Puis on nous a fait faire uniquement la partie de la bosse d’arrivée. Du coup, on n’a pas pu faire une descente complète et on n’a jamais pris la bosse d’arrivée avec la bonne vitesse. Cela ne se serait jamais passé comme ça sur une Coupe du monde classique. Tout a été fait pour que la compétition ait lieu. L’athlète n’était pas au centre du projet sur ces JO.
C’était une période où j’avais encore beaucoup de choses à régler. J’avais commencé une préparation mentale mais j’avais encore des moments de doute. Ces conditions de course ne m’ont vraiment pas aidée à être sereine.
« L’athlète n’était pas au centre du projet sur ces JO »
Dans les mois qui ont suivi cette chute aux Jeux Olympiques, tu as dû gérer gérer la déception de cette course, la lourde blessure ainsi que les moqueries sur Internet. Comment as-tu réussi à repartir de l’avant dans un contexte aussi difficile ?
C’est vrai que l’après JO n’a pas été facile. D’un point de vue physique, j’étais blessée. Mais c’était le moindre de mes soucis car je savais par quoi j’allais passer : l’opération puis la rééducation. Je n’ai pas eu d’énorme douleur car je n’ai pas eu une grosse chute. Je n’avais pas non plus de gros dégâts mis à part le ligament croisé qui avait cassé de nouveau. D’un point de vue psychologique, c’était beaucoup plus difficile de passer au-dessus de ce qui m’arrivait. Aujourd’hui, on appellerait cela du bashing ou du harcèlement. A l’époque, je n’étais pas du tout habituée à recevoir des messages de haine. Or, j’ai reçu des messages assez violents à l’époque via les réseaux sociaux, sous couverts de l’anonymat qu’apporte Internet.
J’ai eu la chance d’avoir déjà attaqué une préparation mentale avec un professionnel et d’avoir du coup déjà démarré une démarche sur moi-même, sur la façon dont j’abordais mon sport, dont je voyais ma carrière et dont je me fixais des objectifs. Ça m’a aidé à dépasser ça. Ma famille et mes amis m’ont énormément soutenue. J’ai aussi fait un travail sur moi-même, pour accepter que cet événement sur les JO ferait partie de ma carrière et de l’image qu’on aurait de moi toute ma vie, que je ne pourrais pas le changer et qu’il fallait que je vive avec. Une fois que je l’ai accepté, je me suis dit que je n’avais rien à prouver. J’ai déposé ce sac à dos de culpabilité et je suis passée au-dessus. Je me suis fixé de nouveaux objectifs et j’ai continué ma carrière !
Tu as mis un terme à ta carrière en février 2015, suite à une blessure. Comment l’as-tu vécu ?
Je savais que j’allais arrêter ma carrière en 2015. Je voulais remettre mon titre en jeu sur les Championnats du monde 2015, et j’avais la possibilité de finir ma carrière en France car les finales de Coupe du monde avaient lieu cette année-là à Méribel. Malheureusement, je me suis blessée en janvier, juste avant les Championnats du monde. Cela a précipité la fin de ma carrière.
On entend beaucoup que c’est une petite mort pour le sportif et que la reconversion est difficile à gérer si on ne la prépare pas. Je n’ai pas préparé ma reconversion pendant ma carrière parce que penser à mon après-carrière me mettait un grand stress et me bloquait dans les performances. Même si on s’attend à ce que la carrière sportive s’arrête, je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi perturbant. Quand on met un terme à sa carrière, tout s’arrête. Avant, tout était plus ou moins prévu. Je connaissais le déroulé de mon année : le printemps, c’était l’entraînement, l’été, c’était l’entraînement sur les glaciers et le départ en Amérique du Sud… Je me suis soudain retrouvée livrée à moi-même, sans repère, sans objectif et sans personne pour nous motiver. C’est difficile de se retrouver tout seul. J’ai eu un petit moment de flottement, de dépression et de recherche de nouvelles envies. La reconversion a été compliquée ! Cela va mieux maintenant !
Quelles ont été les principales lignes de ta reconversion et que deviens-tu aujourd’hui ?
J’ai d’abord repris des études pendant une année. Il s’agissait d’une licence de commercialisation de produits et de services sportifs, en alternance chez Rossignol. Rossignol a été l’un des seuls sponsors qui m’a aidé pour ma reconversion et j’y ai travaillé pendant deux ans. Il y a ensuite eu des changements au sein de l’entreprise et le service dans lequel je travaillais a été supprimé.
J’ai alors décidé de faire ce que j’aimais, à savoir revenir sur les skis et enseigner. Je suis désormais monitrice de ski à l’ESF 1850 de Courchevel. Les personnes que j’entraîne ne connaissent pas forcément mon passé. Mais parfois, le sujet vient quand on discute de notre vie et ils sont assez épatés de ma carrière sportive. Cela fait alors de belles discussions avec les clients ! Je suis monitrice pendant tout l’hiver. Le reste de l’année, je fais au coup par coup.
J’ai aussi eu une petite fille en juillet 2021. Je suis à fond dans mon rôle de maman et je suis fan de cette nouvelle fonction ! Sinon, j’essaie de me laisser la porte ouverte, d’essayer de nouvelles choses et un jour, je trouverais peut-être ce que j’ai vraiment envie de faire !
Merci Marion pour ta disponibilité et bravo pour ce titre il y a dix ans !
La carrière de Marion Rolland en quelques lignes :
Spécialiste des épreuves de vitesse, Marion Rolland participe à sa première épreuve de Coupe du monde en 2004 et marque ses premiers points en 2005. Lors des Championnats du monde de Val d’Isère en 2009, elle se classe cinquième de la descente. Elle participe aux Jeux Olympiques de Vancouver 2010 mais elle chute lors de la descente et se blesse gravement.
Lors des Championnats du monde 2011, elle termine 20e de la descente et 21e du Super-G. En 2012, elle signe deux podiums lors des finales de Coupe du monde de Schladming (2e de la descente et 3e du Super-G). En février 2013, elle devient championne du monde de descente à Schladming.
Marion Rolland compte aussi 7 titres de championne de France, en descente (2005, 2006, 2011, 2012 et 2013) et en Super-G (2012 et 2013). Après de graves blessures fin 2013 et début 2015, elle met un terme à sa carrière en février 2015, à l’âge de 32 ans. Marion Rolland est aujourd’hui monitrice de ski.
Participation aux Jeux Olympiques de Vancouver 2010
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