La triathlète Annouck Curzillat a remporté la médaille de bronze des Jeux Paralympiques de Tokyo en 2021, dans la catégorie des déficients visuels. Elle nous parle de cette course ainsi que du rôle du guide dans sa performance.
Annouck, vous avez remporté la médaille de bronze du triathlon lors des Jeux Paralympiques de Tokyo en 2021. A l’époque, cette médaille était-elle un objectif clair en arrivant aux Jeux ou bien une bonne surprise ?
Avoir une médaille était un objectif, mais j’avais plutôt le statut d’outsider. En effet, je concourrais face à des filles qui avaient presque toujours fini devant moi dans les courses précédentes. Je misais sur le fait qu’il s’agissait d’une course dans un contexte très particulier et dans des conditions climatiques très spéciales. Même si chacune s’était préparée pour ce type de climat, on ne savait pas comment le corps allait réagir sur place. J’ai donc pensé qu’il serait possible qu’une concurrente soit moins en forme.
Pouvez-vous nous raconter comment vous avez vécu cette course de l’intérieur ?
Il y avait une batucada (un groupe de musique avec des percussions, ndlr) proche du dĂ©part. C’est très inhabituel sur mes Ă©preuves et ça m’a gonflĂ©e en Ă©nergie. GĂ©nĂ©ralement, je suis assez stressĂ©e sur les courses et je n’ai pas très confiance en moi. J’ai toujours tendance Ă me poser beaucoup de questions. A Tokyo, je me suis dit qu’il fallait que j’évite de cogiter et que je sois concentrĂ©e sur ma technique.
Sur la partie de natation, je me suis mise à simplement compter mes coups de bras, de façon à ne pas avoir de pensée parasite. Je pensais aussi à ma technique, mais je n’ai vraiment fait que compter pendant toute la nage !
Sur la partie de cyclisme, j’avais travaillé le parcours et je le connaissais par cœur. J’avais la crainte d’avoir trop chaud, mais on avait de l’air grâce à la vitesse à laquelle on roulait. L’épreuve était très technique : il y avait beaucoup de virages et de relance. J’essayais de ne pas penser aux douleurs, et d’être concentrée sur le pédalage et sur les informations de course que ma guide Céline me donnait.
« Cette arrivée était très spectaculaire ! »
Il y a ensuite eu la partie de course à pied, et notamment l’arrivée où vous avez terminé troisième de justesse devant les Anglaises…
Quand je suis descendue du vĂ©lo, j’avais très chaud et j’ai pensĂ© que la course Ă pied allait ĂŞtre compliquĂ©e. Mais je me suis dit que c’était la course d’un jour, que c’était aujourd’hui ou jamais, et que j’allais me concentrer sur ma respiration et mon rythme de pas. Pendant la course, je ne savais pas que l’Anglaise Ă©tait derrière. La stratĂ©gie de ma guide et de la FĂ©dĂ©ration Ă©tait de ne pas me dire ce qui se passait Ă l’arrière car cela me faisait stresser et perdre mes moyens. L’idĂ©e Ă©tait plutĂ´t de me dire ce qui se passait devant et quelle concurrente je pouvais rattraper. J’étais donc dans une dynamique positive, qui s’est accentuĂ©e lorsque j’ai doublĂ© la Canadienne qui Ă©tait troisième.
Ma guide voyait que l’Anglaise me rattrapait, mais moi, je savais que j’étais troisième et je pensais que j’étais peut-être en train d’aller chercher l’Italienne devant moi. Avec ma guide, j’avais travaillé la ligne droite d’arrivée, qui faisait à peu près 300 m. Quand elle m’a dit : « Annouck, c’est le moment de faire ton sprint ! », je ne sais pas ce qui s’est passé dans ma tête ! C’est un peu comme si mon cerveau s’était déconnecté de la réalité et que mes jambes s’étaient mises à tourner toutes seules. J’entendais juste ma guide hurler. Quand j’ai passé la ligne, je ne savais pas si j’étais deuxième ou troisième, j’étais déconnectée du temps. Puis ma guide m’a expliqué que j’étais troisième, de justesse devant l’Anglaise. C’était le rêve ! Cette arrivée était très spectaculaire ! Je m’étais fait plein de scénarios d’arrivées dans ma tête, mais je ne pouvais pas imaginer celui-ci car l’Anglaise avait alors toujours terminé devant moi.
De façon plus globale, quels souvenirs gardez-vous de ces Jeux Paralympiques de Tokyo, disputés dans le contexte du covid-19 ?
Quand on est arrivés au Japon, on n’est pas allés tout de suite au Village car il faisait très chaud à Tokyo. On était ainsi dans de très bonnes conditions pour s’entraîner. On a rejoint le Village le jour de la cérémonie d’ouverture, mais on n’y a pas participé car notre course était trois jours plus tard et la Fédération ne voulait pas qu’on se fatigue.
Le fait de se retrouver avec toutes les disciplines et tous les athlètes était impressionnant. Mais les contraintes étaient assez fortes. Notre discipline nous impose de reconnaître les parcours et le site de course. Comme il faisait très chaud, on faisait les reconnaissances très tôt le matin. On était donc décalés. L’après-midi, on restait dans notre chambre pour se protéger de la fatigue et de la chaleur.
On a dû partir le surlendemain de la course, alors qu’on aurait pu rester une semaine s’il n’y avait pas eu le contexte du covid-19. On n’a donc pas pu vraiment profiter du Village ni de la cérémonie de clôture. C’était un peu dommage.
En 2022, vous avez remporté la médaille de bronze des Championnats d’Europe et vous avez terminé quatrième des Championnats du monde. Quel regard portez-vous sur la saison dernière ?
Je suis plutôt satisfaite. Au début de l’année 2022, je n’étais pas convaincue de vouloir poursuivre ma carrière. Je suis repartie de 0 au niveau de l’entraînement, avec un nouveau coach et une nouvelle façon de m’entraîner. Mon ancienne guide remplaçante Julie Marano est devenue ma guide titulaire. Ce que j’ai mis en place a bien fonctionné et j’ai réussi à améliorer pas mal de paramètres malgré une concurrence de plus en plus rude. Etant donné que mon handicap est plus fort que pas mal de mes concurrentes, je dois travailler plus pour obtenir la même chose. C’était plutôt une bonne année !
« Sans tout cet appui, je n’aurais pas continué ma carrière »
Vous courrez dans la catégorie des déficients visuels. Pouvez-vous nous parler du rôle primordial du guide ?
Moins on voit et plus le guide est primordial. Il est à minima les yeux de l’athlète. Il doit compenser la vision de ce dernier pour lui permettre de s’exprimer au mieux. Il faut aussi qu’il le connaisse très bien pour lui donner les infos dont il a besoin. Il doit gérer les émotions de l’athlète, le stimuler en cas de coup de mou, ou au contraire le ralentir s’il s’enflamme. Le guide doit avoir une communication efficace et ne pas parler pour ne rien dire, car il effectue aussi un effort et il doit toujours être lucide. Enfin, le guide a pour rôle de gérer les imprévus, comme par exemple si le vélo déraille ou s’il faut changer une roue.
Comment communiquez-vous avec la guide pendant la course ?
En natation, on ne peut pas se parler donc la communication est uniquement tactile. On travaille en amont les parcours donc je sais combien de bouées on doit passer. La guide me touche la tête quand on se rapproche de la bouée pour que je me prépare au virage. En cyclisme, je connais bien les parcours et la guide me dit surtout qui on double ou qui nous double. Quand on arrive sur un virage, elle ralentit son pédalage donc je sais qu’on va tourner. Le guide doit beaucoup s’employer sur le vélo donc il n’a lui-même pas beaucoup de souffle pour trop parler. En course à pied, le guide est généralement meilleur et il est donc plus lucide pour communiquer. Je suis de nature à m’économiser sur la course donc on communique pas mal sur mes sensations. Elle me coache aussi sur ma posture, me signale les virages et me donne des informations sur les concurrentes.
Les Jeux Paralympiques de Paris 2024 auront lieu dans un an et demi. Qu’est-ce-que cela change dans votre préparation par rapport aux Jeux de Tokyo ?
Cela a changé pas mal de choses pour moi. Comme j’ai été médaillée à Tokyo, la Fédération et moi-même bénéficions d’aides de l’Agence nationale du sport pour m’aider à être performante à Paris en 2024. Mon nouvel entraîneur est rémunéré. Mon contrat d’insertion professionnelle, qui me permet de me détacher de mon travail, peut se poursuivre (Annouck est kinésithérapeute, ndlr).
Avant, j’avais un entraĂ®neur Ă distance. Maintenant, mon entraĂ®neur est avec moi Ă Lyon et peut faire un meilleur suivi. Il me sert Ă©galement de guide sur mes entraĂ®nements de vĂ©lo et de course Ă pied, ce qui est très important pour moi. Trouver des guides avant le covid-19 n’était pas simple. Ça me prenait beaucoup d’Ă©nergie et me causait beaucoup de tracas lorsque je n’en avais pas. Je cherchais des guides sur Internet, notamment sur des groupes de coureurs. Mais avoir des gens rĂ©guliers avec lesquels on peut construire des choses n’était pas facile, d’autant plus que je n’aime pas me servir des autres juste pour mes yeux : je souhaite qu’ils y trouvent aussi du plaisir. Aussi, depuis peu, Julie a un contrat de travail avec un dĂ©tachement complet pour s’entraĂ®ner afin d’être la plus performante possible pour m’accompagner. La compagne de mon entraĂ®neur s’investit Ă©normĂ©ment dans le projet et me guide Ă©galement. Cela rend l’entraĂ®nement et la prĂ©paration encore plus sympathiques car on se connaĂ®t bien !
Jusqu’aux Jeux de Tokyo, je devais souvent m’entraîner seule sur mon home trainer et sur mon tapis de course. Mon handicap m’obligeait à le faire parfois par facilité. Mais cela pouvait être dangereux, notamment quand je faisais des séances de fractionné, car j’étais seule dans mon appartement et je risquais de manquer de lucidité parfois. Aussi, le triathlon est un sport d’extérieur et cela n’a pas de sens pour moi de m’entraîner en intérieur. Cette nouvelle situation est donc une grande amélioration.
Tout cela me permet de viser les Jeux de Paris et d’envisager ramener une médaille. Sans tout cet appui, je n’aurais pas continué ma carrière. En effet, certaines concurrentes ont une meilleure vue que moi et peuvent quasiment s’entraîner toutes seules, alors que je suis pas mal dépendante. J’aurais été trop défavorisée si mes conditions étaient restées les mêmes qu’avant les Jeux de Tokyo. Si je participe aux Jeux Paralympiques de Paris, ce n’est pas pour terminer cinquième ou sixième, mais pour décrocher une médaille !
Merci beaucoup Annouck et bonne chance pour la suite de votre carrière !
La carrière d’Annouck Curzillat en quelques lignes :
Annouck Curzillat pratique le triathlon handisport et concoure dans la catégorie des déficients visuels. Elle termine 4e de ses premiers Championnats d’Europe et 5e de ses premiers Championnats du monde en 2019.
Lors des Jeux Paralympiques de Tokyo en 2021, elle remporte la médaille de bronze avec sa guide Céline Bousrez. Elle devient championne d’Europe en 2021.
En 2022, elle décroche la médaille de bronze des Championnats d’Europe et elle se classe 4e des Championnats du monde. Aujourd’hui âgée de 30 ans, Annouck Curzillat se prépare pour les Jeux Paralympiques de Paris 2024.
Participation aux Jeux Paralympiques de Tokyo 2020
Médaillée de bronze aux Jeux Paralympiques de Tokyo 2020 (triathlon)
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