Avec neuf mĂ©dailles en six participations aux Jeux Paralympiques, Pierre Fairbank a marquĂ© l’athlĂ©tisme en fauteuil roulant. Aujourd’hui âgĂ© de 52 ans, il se lance dans un dernier dĂ©fi : les Jeux Paralympiques de Paris 2024.
Pierre, tu as participé à tes premiers Jeux Paralympiques en 2000 à Sydney, remportant l’or sur 200 m, l’argent sur 400 m et le bronze sur 800 m. A l’époque, t’attendais-tu à une telle performance pour tes premiers Jeux, ou cela a été une bonne surprise ?
Ça a Ă©tĂ© une bonne surprise ! J’ai participĂ© Ă ma première compĂ©tition en fauteuil en 1989 Ă l’occasion des Jeux FESPIK de Kobe. C’était un Ă©vĂ©nement qui regroupait 3500 athlètes handisport de toute l’Asie Pacifique, mais ce n’était pas mĂ©diatisĂ©. J’ai ensuite essayĂ© de me qualifier pour les Jeux de Barcelone 1992 mais je n’ai pas rĂ©ussi. En 1993, je me suis installĂ© en France car il y avait plus de compĂ©titions et c’était le meilleur moyen de progresser. Ma première sĂ©lection a eu lieu en 1998 aux Championnats du monde. J’y ai remportĂ© une mĂ©daille d’or en relais 4×100 m, mais c’était très dur en individuel.
Les Jeux Paralympiques 2000 avaient lieu à Sydney, à côté de mon pays la Nouvelle-Calédonie. J’avais du stress pour mes premiers Jeux. J’ai gagné trois médailles et celle en or était sur ma dernière course, le 200 m ! C’était génial ! Et puis sur le 400 m, j’ai obtenu l’argent et j’étais sur le podium avec un copain, Charles Tollé.
C’étaient vraiment des beaux Jeux, avec une belle équipe de France : on était une dizaine d’athlètes en fauteuil. En quittant Sydney, je me suis dit : « j’ai participé aux Championnats d’Europe, aux Championnats du monde et aux Jeux Paralympiques, j’arrête ma carrière ! » Mais finalement, j’ai continué et je suis toujours en équipe de France !
Tu as ensuite obtenu trois mĂ©dailles en relais, l’argent du 4×400 m et le bronze du 4×100 m Ă Athènes en 2004, et le bronze du 4×400 m Ă PĂ©kin en 2008. Le relais Ă©tait-il une Ă©preuve que tu travaillais spĂ©cifiquement ?
On se retrouvait parfois en stages. Pour la composition, c’était simple : on prenait les meilleurs chronos. Le relais était une belle expérience, mais il n’existe plus dans sa forme de l’époque. Il s’agit désormais d’un « relais universel », qui mixe les quatre handicaps.
Le stress était multiplié par 10 en relais ! Autant en individuel, j’avais un stress positif, autant en relais, je ressentais beaucoup de pression ! Quand tout marche bien, c’est top et on dit qu’on a gagné ensemble. Mais quand tu fais une faute, tu sais que c’est toi qui as fait louper le relais, même si on ne te le dit pas !
« J’ai bien joué tactiquement, en faisant semblant d’attaquer dans le virage »
Lors des Jeux Paralympiques de Tokyo en 2021, tu as remporté la médaille de bronze sur le 800 m. Peux-tu nous raconter comment tu as vécu cette course de l’intérieur ?
J’ai deux concurrents très forts depuis 2019, un Canadien et un Thaïlandais, et ils ont passé un cap énorme à Tokyo. Sur le 100 m, je termine cinquième et ils font un gros chrono. Sur le 400 m, pareil, je me classe sixième et ils me mettent une ou deux secondes. La troisième place était en revanche assez ouverte pour les autres participants.
Sur le 800 m, c’était une course tactique. Il y avait une pluie énorme. Pendant les 400 premiers mètres, j’étais juste derrière le Canadien et le Thaïlandais. Avec l’aspiration, très importante dans notre sport, je me suis dit que si je restais derrière et qu’ils continuaient à m’emmener, je pouvais peut-être en battre un ou deux à l’arrivée. Mais ils se cherchaient et à un moment donné, ils ont freiné et se sont mis au deuxième couloir. Je me suis retrouvé coincé dans leurs roues et j’ai vu un Chinois passer et nous prendre 10 mètres ! Les deux ont alors redémarré à fond et j’étais en quatrième position, loin du podium. Il restait 300 mètres. J’ai remonté tout doucement. Lors du dernier virage, j’étais près du Chinois et j’ai fait semblant de l’attaquer. Il a alors accéléré de nouveau, avant d’exploser dans la dernière ligne droite. Cela s’est bien passé. Il y a une photo où j’ouvre les bras en franchissant la ligne, comme si j’avais gagné !
J’ai bien joué tactiquement, en faisant semblant d’attaquer dans le virage. Il s’agissait de ma neuvième médaille, pour mes sixièmes Jeux ! C’était une grande satisfaction pour tous ceux qui sont derrière moi et j’étais très content de remporter une médaille à 50 ans !
Tu as remporté neuf médailles aux Jeux Paralympiques. Quelle est la médaille dont tu es le plus fier ?
Il n’y en a pas vraiment une en particulier. Elles sont tellement dures à gagner ! Même si tu es bien préparé, il y a aussi un côté aléatoire aux Jeux : tu peux être malade trois jours avant ! Après quatre ans de préparation, quand tu as la forme et que tu gagnes une médaille, c’est un beau cadeau ! Je suis toujours heureux de monter sur le podium. Je ne comprends pas certains athlètes qui sont tristes quand ils ont l’argent ou le bronze.
Tu as participé à six éditions des Jeux Paralympiques, entre 2000 et 2021. Quelle est l’édition qui t’a le plus marqué ?
Je dirais mes premiers Jeux, à Sydney. Je rêvais d’y participer depuis 1989 et c’était une consécration d’y être. En plus, j’y ai remporté trois médailles ! Sinon, j’ai particulièrement aimé les Jeux de Pékin 2008 et de Londres 2012 car il y avait beaucoup de public. A Pékin, c’était la première fois que je concourrais dans un stade rempli. La cérémonie était fantastique, avec beaucoup de feux d’artifice. A Londres, le stade était également plein et le public aimait le sport et ne faisait pas de distinction avec les valides.
Les Jeux de Rio 2016 étaient de beaux Jeux, mais le stade n’était pas plein. A Tokyo, en 2021, les Japonais étaient d’une grande gentillesse. Je les admire et ils ont vraiment eu du mérite : attendre tant d’années, devoir décaler l’événement et le faire sans public à cause du covid-19 : c’était catastrophique pour eux !
Les Jeux que j’ai le moins aimés étaient ceux d’Athènes en 2004. Même s’ils ont fait des efforts pour nous accueillir, les gens y était moins sensibles au handisport et c’était assez fade.
« On va désormais à 36 ou 37 km/h en vitesse de pointe »
Quelles ont été les principales évolutions des Jeux Paralympiques depuis 2000 selon toi ?
L’organisation est désormais très bien rodée et tout est fluide. L’organisation était bonne à Sydney, mais il y avait quand même quelques petits couacs sur les aménagements des transports et les installations de rampes pour les athlètes handisports.
Il y a eu une grande évolution au niveau médiatique. A Sydney, il y avait seulement une émission de 26 minutes en fin de soirée qui traitait des Jeux Paralympiques. Maintenant, il y a huit heures de direct !
La prime versée par l’Etat pour les médailles Paralympiques a été alignée avec celle des médailles Olympiques à partir de 2008. Aux Jeux Paralympiques de Sydney, elle était de 1800 € pour une médaille d’or, 1000 € pour une médaille d’argent et 600 € pour une médaille de bronze (la prime était de 65 000 € pour une médaille d’or aux Jeux de Tokyo 2020, ndlr).
Le niveau sportif a beaucoup progressé. Avant, les performances n’étaient pas spectaculaires et je comprends que les médias ne s’y intéressaient pas trop. Un 100 m fauteuil se gagnait en 17 secondes, contre 13 secondes actuellement. C’est désormais beaucoup plus beau à regarder.
Enfin, il n’y a pas photo sur le matériel ! Lors des premiers Jeux Paralympiques en 1960 à Rome, les athlètes utilisaient des fauteuils d’hôpitaux ! A mes débuts, mon fauteuil était en acier, il pesait 15 kg, et je poussais en position assise. Maintenant, mon fauteuil est en aluminium avec des roues en carbones, il pèse 8 kg et je pousse en position aérodynamique ! On va désormais à 36 ou 37 km/h en vitesse de pointe.
Tu as une très grande longévité au haut-niveau. Comment fais-tu pour rester aussi motivé ?
C’est vraiment dur de se qualifier pour les Jeux et de gagner une médaille ! L’année des Jeux, je m’entraîne tellement que je sature une fois qu’ils se terminent. Je pense alors à arrêter ma carrière. Mais après quelques mois, je me dis que les Championnats du monde auront lieu bientôt, et je continue !
Après les Jeux de Sydney 2000, je voulais mettre un terme à ma carrière. L’édition suivante avait lieu à Athènes, le berceau des Jeux, et j’ai finalement décidé d’y aller. Après, j’étais persuadé que la Chine allait organiser un super événement et j’ai voulu aller jusqu’aux Jeux de Pékin. Puis il y a eu Londres qui était près de la France, et Rio et son côté festif ! Comme j’ai commencé ma carrière au Japon en 1989, j’ai pensé que ce serait bien de finir aussi au Japon, aux Jeux de Tokyo. J’y ai remporté une médaille et lors de la cérémonie qui a suivi à l’Elysée, on m’a dit : « allez Pierre, finis ta carrière aux Jeux de Paris, ce sera en France ! ». Comme il n’y avait que trois ans entre les Jeux de Tokyo et ceux de Paris, j’ai décidé de continuer. Je dois me qualifier et je vais faire tout pour. Par contre, j’aurais alors 53 ans et ce seront vraiment mes derniers ! (rires)
Les Jeux Paralympiques de Paris auront lieu l’année prochaine. Comment va se passer la qualification pour toi ?
Si j’avais terminé dans le top 4 des Championnats du monde de Paris l’été dernier, j’aurais déjà ouvert un quota. Mais ce n’est malheureusement pas le cas. Pour moi, les sélections commencent à partir de janvier sur des meetings validés par l’IPC. Il faudra que je sois dans le top 6 mondial pour me qualifier, à moins qu’ils ne changent les critères. Il faudra aussi que je fasse les minimas et l’idée sera donc de courir sur des pistes rapides. Il y aura des épreuves en Australie en janvier, aux Emirats arabes unis en mars et en Suisse en mai. Je participerai aussi aux Championnats de France et aux Championnats du monde de Kobe, qui auront lieu avant les Jeux. Participer aux Jeux de Paris est un rêve et je pense que ce seront des beaux Jeux !
Merci beaucoup Pierre pour ta disponibilité et ta bonne humeur !
La carrière de Pierre Fairbank en quelques lignes :
Pierre Fairbank pratique l’athlĂ©tisme en fauteuil roulant et est paraplĂ©gique Ă cause d’une poliomyĂ©lite contractĂ©e Ă 9 ans. Il participe Ă ses premiers Championnats du monde en 1998 et obtient la mĂ©daille d’or du relais 4×100 m. Lors des Jeux Paralympiques de Sydney 2000, il remporte l’or du 200 m, l’argent du 400 m et le bronze du 800 m. En 2002, il devient champion du monde du 400 m et du 800 m.
Il brille en relais aux Jeux Paralympiques avec les mĂ©dailles d’argent du 4×400 m et de bronze du 4×100 m Ă Athènes en 2004, et la mĂ©daille de bronze du relais 4×400 m Ă PĂ©kin en 2008. Il participe aux Jeux Paralympiques de Londres 2012 mais n’y remporte pas de mĂ©daille.
Lors des Jeux Paralympiques de Rio 2016, il obtient l’argent du 800 m et le bronze du 400 m. Pour ses sixièmes Jeux Paralympiques en 2021 à Tokyo, il remporte la médaille de bronze du 800 m. Aujourd’hui âgé de 52 ans, Pierre Fairbank vise une dernière participation aux Jeux Paralympiques à Paris en 2024.
Participations aux Jeux Paralympiques de Sydney 2000, Athènes 2004, Pékin 2008, Londres 2012, Rio 2016 et Tokyo 2020
Médaillé d’or aux Jeux Paralympiques de Sydney 2000 (200 m catégorie T53)
MĂ©daillĂ© d’argent aux Jeux Paralympiques de Sydney 2000 (400 m catĂ©gorie T53), Athènes 2004 (relais 4×400 m catĂ©gories T53-T54) et Rio 2016 (800 m catĂ©gorie T53)
MĂ©daillĂ© de bronze aux Jeux Paralympiques de Sydney 2000 (800 m catĂ©gorie T53), Athènes 2004 (relais 4×100 m catĂ©gories T53-T54), PĂ©kin 2008 (relais 4×400 m catĂ©gories T53-T54), Rio 2016 (400 m catĂ©gorie T53) et Tokyo 2020 (800 m catĂ©gorie T53)
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