Vice-champion Olympique 2016, champion du monde 2015, champion d’Europe 2014 et 2016 : ClĂ©ment Mignon a un palmarès impressionnant en relais 4×100 m nage libre. Il revient pour nous avec franchise sur sa carrière et Ă©voque sa dĂ©ception concernant la rĂ©alitĂ© du monde sportif aux Jeux de Rio.
Clément, tu as remporté la médaille de bronze du 100 m nage libre aux Championnats d’Europe 2016. Peux-tu nous raconter comment tu as vécu cette finale de l’intérieur ?
J’étais à un très bon niveau lors de ces Championnats d’Europe de Londres. Les séries et les demi-finales s’étaient très bien passées. Je suis arrivé en finale très motivé et confiant. Malheureusement, ça ne s’est pas passé exactement comme prévu. Le Hollandais m’a dépassé sur la touche et j’ai obtenu la médaille de bronze. J’avoue que je m’attendais à un peu mieux. Ça reste une très belle place, mais j’ai toujours cette petite frustration de ne finir « que » troisième, alors que j’avais signé le meilleur temps des séries et le deuxième meilleur temps des demi-finales.
Je me souviens être passé un peu pour un aigri dans mon interview d’après-course. Beaucoup de choses se passaient alors dans ma tête. Il m’a fallu quelques minutes pour être fier de moi et me rendre compte que ça restait quand même ma première médaille individuelle en grand Championnat !
Tu as obtenu la mĂ©daille d’argent du relais 4×100 m nage libre des Jeux Olympiques de Rio 2016, au titre de ta participation aux sĂ©ries. Peux-tu nous expliquer comment tu as appris que tu ne disputerais pas la finale ?
La logique qu’on a toujours mis en place en équipe de France et qui a toujours bien marché, c’est que le ou les deux moins bons relayeurs du matin laissent leur place aux réservistes le soir pour la finale. Sauf que ce jour-là , Fabien Gilot et moi avons réalisé quasiment le même temps lors des séries.
Les managers de l’équipe de France, qui sont censés déterminer qui nage en finale, nous ont alors mis la pire colle possible ! Ils sont venus nous voir et nous ont dit : « Les gars, on n’arrive pas à vous départager, prenez 10-15 minutes entre vous et essayez de déterminer lequel d’entre vous nagera en finale ce soir ».
Ça a été très compliqué parce que d’un côté, tu es un compétiteur et tu as vraiment envie de nager, et d’un autre côté, l’équipe passe avant tout et tu veux être honnête. J’ai expliqué que j’avais été à mon maximum le matin et que je ne savais pas si je pourrais faire mieux en finale. Je pensais que je ferais à peu de chose près le même temps. Fabien a eu exactement le même discours. Et au bout de 15 minutes, on n’était pas plus avancés. On est donc arrivés « bredouille » auprès du staff et on leur a annoncé qu’on n’était pas aptes à déterminer qui de nous deux serait le plus légitime à nager le soir.
Romain Barnier (le Directeur des équipes de France de natation, ndlr) a alors pris la difficile décision et a expliqué qu’à niveau égal, il allait faire jouer l’expérience plutôt que la jeunesse. Il a été totalement transparent et je ne lui en veux pas du tout.
« Mon rêve était d’aller aux JO mais j’ai déchanté »
On imagine que cela a été un sentiment mitigé, entre la déception de ne pas nager la finale et la satisfaction de remporter une médaille Olympique ?
Ne pas participer à cette finale a été difficile pour deux raisons.
Premièrement, même si j’ai reçu la médaille et la prime de médaille, c’est quand même plus gratifiant de participer à la finale, de monter sur le podium et de faire la photo avec la médaille autour du cou.
Deuxièmement, on a remporté la médaille d’argent et il nous a manqué quelques dixièmes pour l’or. C’est humain de se poser des questions et de se demander ce qui se serait passé si j’avais nagé. En finale, Fabien a nagé légèrement plus lentement. Je me suis dit que l’issue aurait pu être différente, en bien ou en mauvais, si j’avais plus insisté pour nager.
Romain Barnier est venu me voir après la finale et m’a dit : « Je suis désolé, j’ai choisi Fabien, j’ai préféré l’expérience à la fougue de la jeunesse, et je regrette cette décision ». J’ai répondu qu’il n’y avait pas eu de bonne ou de mauvaise décision, car rien ne pouvait garantir que je fasse mieux que lui. Je ne suis pas du tout rancunier de la décision car pour moi, l’équipe passe avant tout.
Lors de ces Jeux Olympiques de Rio, tu as aussi atteint la demi-finale du 100 m nage libre en individuel. Avec le recul, es-tu satisfait de cette performance en individuel ?
J’ai été globalement déçu de mes JO. J’avais réalisé de belles performances aux Championnats de France et aux Championnats d’Europe en 2016 et ça n’a pas malheureusement pas été le cas à Rio. Je me suis qualifié aux JO en 48’’0 mais j’ai nagé en 48’’5 en demi-finales à Rio. J’ai fini septième de ma demi-finale et quatorzième au général. J’espérais mieux. C’était vraiment frustrant. J’ai donné tout ce que je pouvais pendant la préparation et pendant la course, mais je n’avais pas les armes supplémentaires pour aller plus vite. C’est la loi du sport !
As-tu ressenti la magie Olympique pour ta première participation aux JO ?
Dans le bus pour rejoindre le Village Olympique, les anciens Olympiens m’ont dit : « tu vas voir, le Village Olympique est un endroit magnifique, on va s’éclater ! ». Mais quand on est arrivés au Village, les travaux n’étaient pas finis ! On n’avait pas de fenêtres. Les toilettes fuyaient constamment et il y avait 1 cm d’eau sur le sol de la salle de bain. On m’avait vendu du rêve et c’était un peu la désillusion !
Je suis arrivé à Rio avec beaucoup d’espoirs et d’étoiles dans les yeux, mais j’ai été très déçu de la réalité du monde sportif : le sport est en fait un gigantesque business. Le CIO est une énorme structure. En tant qu’athlète, tu as « l’honneur » de recevoir le manuel du parfait Olympien qui décrit toutes les règles à respecter. Tu n’as pas le droit de faire un direct sur tes réseaux sociaux car ce sont les droits TV qui en bénéficient. Toutes les photos et les vidéos que tu prends pendant les JO et dans les infrastructures sportives sont la propriété intellectuelle du CIO, qui peut donc les récupérer et les revendre. Tu es obligé d’avoir tel ou tel équipement à telle ou telle heure de la journée. J’ai compris que le sport passait après le business.
Il y a aussi eu le scandale de Sun Yang, le nageur Chinois soi-disant non dopé mais dont tout le monde se doute qu’il a été dopé à cause de ses comportements plus qu’étranges. Il a participé aux JO de Rio alors que cela faisait deux ou trois ans qu’il aurait dû être suspendu. Mais les Chinois représentent plus d’un milliard de téléspectateurs et il fallait que leur vedette soit présente pour qu’ils regardent les JO. Cet aspect financier et marketing m’a dégoûté. Mon rêve était d’aller aux JO mais j’ai déchanté. Ce n’était pas du tout ce que je pensais. Ça m’a fait beaucoup de mal personnellement. Je pense que ça a fortement contribué aux deux années très compliquées que j’ai eues derrière.
Tu as eu deux années compliquées en 2017 et en 2018, et tu as décidé de mettre un terme à ta carrière en septembre 2018. Peux-tu nous expliquer pourquoi tu as alors décidé d’arrêter la natation ?
Après les JO de Rio, j’ai énormément douté et j’ai eu une période compliquée sportivement. Mes performances décroissaient de mois en mois, même si je m’entraînais deux fois par jour. C’était très difficile à accepter. J’ai essayé de m’exiler pendant quelques mois en Australie mais le cœur n’y était plus.
L’apogĂ©e de cette pĂ©riode compliquĂ©e a Ă©tĂ© pendant les Championnats d’Europe de Glasgow en aoĂ»t 2018. Je m’étais qualifiĂ© de justesse. Lors des sĂ©ries du relais 4×100 m, j’étais le premier relayeur et j’ai nagĂ© en 50’’0, ce qui est un temps vraiment nul ! J’étais Ă bout physiquement et psychologiquement. J’avais un sentiment de honte pour mes performances et en plus de ça, j’ai eu le sentiment d’avoir sabotĂ© le relais. Cela m’a fait prendre conscience que c’était fini pour moi. J’ai alors officiellement arrĂŞtĂ© ma carrière en septembre 2018. J’étais dĂ©goĂ»tĂ© de la natation et j’avais perdu confiance en moi. J’ai quittĂ© Marseille et j’ai changĂ© de vie. Ça m’a permis de rĂ©cupĂ©rer physiquement et psychologiquement.
« Les années où j’ai été le meilleur étaient les années où je suis le plus sorti dans les bars et en boîtes de nuit ! »
Tu as repris ta carrière quelques mois plus tard. Que s’est-t-il passé ?
Après les Championnats d’Europe de Glasgow, j’ai complètement arrêté le sport et j’ai commencé des cours dans une école d’ingénieur informatique. Mais en novembre, je me suis dit que je n’étais pas allé au bout et que j’avais encore des choses à faire en natation. Mais cette fois-ci, je voulais les faire pour moi.
J’ai appelé le Cercle des Nageurs de Marseille et j’ai expliqué que j’avais le projet de reprendre la natation. J’ai souligné que je savais pourquoi je voulais nager et que je n’avais plus rien à perdre. Ils m’ont répondu qu’ils croyaient en mon projet et que j’étais toujours le bienvenu au club. C’est le genre de mots dont j’avais besoin à ce moment-là . Ils m’ont dit qu’on allait casser les codes de ce que j’avais fait avant et aller le plus loin possible ensemble. J’ai alors arrêté les cours d’informatique et repris le sport.
Le Cercle des Nageurs de Marseille m’a donné rendez-vous le 1er janvier 2019 pour le premier entraînement. J’avais fait une grosse fête pour le réveillon ! En deux ou trois semaines, j’ai atteint un niveau comparable aux autres sprinteurs de mon groupe. Pour la première fois depuis de nombreuses années, j’ai participé à une compétition pour me faire plaisir. J’ai ensuite enchaîné les courses et j’ai retrouvé le sentiment de voir mes résultats s’améliorer. A chaque compétition, à chaque entraînement, je me faisais plaisir et je m’améliorais.
Je me suis rendu compte que du moment où j’étais bien dans ma tête, j’étais performant ! Les mathématiques, les calculs sur le nombre de kilomètres d’entraînement, sur la nourriture et sur le sommeil ne marchaient pas sur moi. Les années où j’ai été le meilleur étaient les années où je suis le plus sorti dans les bars et en boîtes de nuit ! Théoriquement, ce n’est pas à faire. Mais c’était un deal que j’avais avec mon entraîneur car ça marchait. Je sortais une à trois fois par semaine. J’allais alors me coucher entre 1h et 3h du matin, et j’allais m’entraîner à 8h. Même si j’avais des cernes sous les yeux, je me dépassais à chaque entraînement. Je me sentais libre et vivant !
Tu comptes de nombreuses médailles en relais : l’or des Championnats du monde 2015 et des Championnats d’Europe 2014 et 2016, l’argent des Jeux Olympiques 2016, ainsi que plusieurs médailles en relais mixte et en petit bassin. Quelle est la médaille la plus spéciale à tes yeux ?
C’est la médaille de bronze des Championnats du monde 2019 de Gwangju en relais mixte. Même si elle a beaucoup moins de valeur sur le papier qu’une médaille Olympique ou qu’un titre mondial, je revenais d’extrêmement loin. Comme je viens de l’expliquer, j’avais arrêté ma carrière, avant de reprendre et de me faire plaisir.
Aux Championnats de France, qualificatifs pour ces Championnats du monde, j’ai battu mon record personnel sur le 50 m nage libre. Je suis passé pour la première fois de ma vie sous les 22 secondes ! Je me suis qualifié pour les Mondiaux en individuel sur le 50 m et sur le 100 m, alors que je n’avais même pas été qualifié en relais deux ans plus tôt. Le tout en ayant repris la natation depuis seulement trois mois !
Lors des Championnats du monde, j’ai continué sur cette lancée : j’ai nagé 7 ou 8 fois en moins de 48’’5, et plusieurs fois en 48’’2. C’était du jamais vu pour moi. C’était la première fois que je prenais autant de plaisir sur une compétition. Cette médaille en relais mixte est pour moi la plus belle !
Lors des Jeux Olympiques de Tokyo en 2021, tu as participĂ© Ă la finale du relais 4×100 m nage libre et la France a terminĂ© sixième. On imagine que disputer une finale Olympique a Ă©tĂ© un grand moment ?
C’était ma première finale Olympique. En relais, il y a vraiment une alchimie qui se créé. La natation est un sport individuel, et les moments partagés sont d’autant plus importants et ont un impact d’autant plus positif sur les membres du relais. Je me suis toujours bien entendu avec tout le monde. On est concurrents la plupart du temps et on se retrouve en relais avec une cause commune. Tout le monde encourage tout le monde. Les émotions sont multipliées et ce sont des moments extrêmement beaux. J’ai été ravi de retrouver ces moments à Tokyo, même si l’équipe était un peu moins performante et la concurrence était bien meilleure qu’à Rio. On était vice-champions Olympiques en titre mais on a fini sixièmes à Tokyo.
Les Jeux Olympiques de Tokyo ont eu lieu à huis-clos à cause de la pandémie de covid-19. Quels souvenirs en gardes-tu ?
Malheureusement, il n’y avait pas grand-chose de l’esprit Olympique. On n’avait pas le droit de sortir du Village. Je suis un fan inconditionnel de Tokyo mais je n’ai pas pu revisiter la ville. Il y avait aussi une règle qui stipulait qu’il fallait quitter le Village Olympique dans les 48 heures après sa dernière course. Cela a un peu cassé l’esprit Olympique. Normalement, une fois ta compétition terminée, tu vas encourager les autres et faire la fête. On n’a pas du tout vécu ça à Tokyo. On s’y attendait, mais c’était quand même un peu dommage !
Les deux seuls points positifs sur l’ambiance étaient le réfectoire et les pin’s. Le réfectoire est une sorte de grand hangar avec un gigantesque self qui propose toutes les cuisines du monde. Tu t’y balades avec ton plateau et tu croises n’importe quel athlète de n’importe quelle nationalité comme si c’était M. ou Mme Toutlemonde. C’est génial ! A Tokyo, ils avaient ajouté des Plexiglas devant et sur les côtés des tables pour totalement isoler chaque athlète, mais l’ambiance était quand même présente. Il y avait aussi l’échange des pin’s des JO. Chacun reçoit de son Comité Olympique des pin’s et peut décider de les échanger avec qui il veut. Tu croises des gens avec une cinquantaine de pin’s sur l’accréditation ! C’est une bonne ambiance !
Quel a été ton parcours depuis l’arrêt de ta carrière fin 2021 et comment se passe ta reconversion ?
J’ai totalement arrêté de nager et j’ai quitté Marseille. Ma copine a eu une opportunité d’emploi entre Nîmes et Montpellier et on est partis là -bas. J’ai ensuite cherché un poste en informatique. J’avais déjà de l’expérience car j’avais développé ma propre plateforme, qui est notamment utilisée par la Fédération pour le suivi de la récupération des athlètes de haut-niveau. Mais je n’avais pas de formation officielle en informatique ni d’expérience en entreprise sur mon CV. J’ai trouvé un poste de webdesigner dans une petite entreprise sympathique, qui ne nécessitait ni formation ni expérience. J’ai ensuite évolué sur un poste de développeur informatique. Et en parallèle, je gère ma petite boîte qui édite le logiciel utilisé par la Fédération !
Merci beaucoup Clément pour ta disponibilité et bravo pour ta carrière !
CrĂ©dits photos : L’Equipe
La carrière de Clément Mignon en quelques lignes :
ClĂ©ment Mignon remporte la mĂ©daille d’or du relais 4×100 m nage libre et celle de bronze du relais mixte aux Championnats d’Europe 2014. Il devient champion du monde du relais 4×100 m nage libre en 2014 en petit bassin et en 2015 en grand bassin.
Il brille aux Championnats d’Europe 2016, remportant la mĂ©daille de bronze du 100 m en individuel ainsi que l’or du relais 4×100 m nage libre et le bronze du relais mixte. Lors des Jeux Olympiques de Rio 2016, il obtient la mĂ©daille d’argent du relais 4×100 m nage libre au titre de sa participation aux sĂ©ries et atteint la demi-finale du 100 m nage libre en individuel.
Il arrĂŞte sa carrière en septembre 2018, avant de revenir. Lors des Championnats du monde 2019, il dĂ©croche la mĂ©daille de bronze du relais 4×100 m nage libre mixte et termine 7e de la finale du 100 m nage libre. Lors des Jeux Olympiques de Tokyo en 2021, il nage la finale du relais 4×100 m nage libre, oĂą la France se classe 6e. Il met un terme Ă sa carrière fin 2021. Aujourd’hui âgĂ© de 30 ans, ClĂ©ment Mignon est dĂ©veloppeur informatique.
Participations aux Jeux Olympiques de Rio 2016 et Tokyo 2020
MĂ©daillĂ© d’argent aux Jeux Olympiques de Rio 2016 (relais 4×100 m nage libre hommes)
Sympa merci c’Ă©tait intĂ©ressant surtout de comprendre l’envers du dĂ©cor aux JO’s.