Interview de Robert Citerne
(handisport)

Robert Citerne a participé à huit Jeux Paralympiques en escrime et y a remporté onze médailles, dont six en or. A 63 ans, il est toujours performant et vise une nouvelle participation aux Jeux Paralympiques de Los Angeles 2028. Entretien.

Robert, vous avez participé à vos premiers Jeux Paralympiques en 1988 à Séoul, remportant l’or en épée individuelle et en fleuret individuel ainsi que l’argent en épée par équipe. Avant la compétition, vous attendiez-vous à une telle performance ?

Non, je ne m’y attendais pas. Avant les Jeux, j’avais expliqué dans une interview que ce serait déjà idéal d’obtenir une médaille de bronze. Ça a été un moment de joie et de bonheur. J’ai reçu pleins de télex, qui étaient à l’époque l’équivalent des fax ou des mails. J’ai toujours les journaux de Séoul dans ma cave.

Mon surnom de « Bob le Ouf Â» vient de ces Jeux de SĂ©oul. J’avais remportĂ© deux mĂ©dailles d’or et une d’argent, mais je voulais en avoir une de bronze car il s’agissait de mes premiers Jeux. J’ai Ă©tĂ© voir un pote italien et je lui ai proposĂ© d’échanger ma mĂ©daille d’or contre sa mĂ©daille de bronze. Il m’a rĂ©pondu que j’étais tarĂ© de proposer cela ! On a Ă©changĂ© nos mĂ©dailles, et le surnom est restĂ©. Quand j’ai Ă©tĂ© interviewĂ© par RMC, ils m’ont dit que personne au monde n’échange une mĂ©daille d’or contre une mĂ©daille de bronze, et que moi seul en Ă©tais capable !

Entre 1988 et 2000, vous avez remportĂ© des mĂ©dailles Paralympiques Ă  la fois en Ă©pĂ©e et en fleuret. Etait-ce courant de pratiquer deux armes Ă  haut-niveau ?

Depuis les annĂ©es 1960, c’est courant de pratiquer deux armes. Aujourd’hui, certains en font mĂŞme trois ! Mon arme de prĂ©dilection a toujours Ă©tĂ© l’épĂ©e. Je m’entraĂ®nais très peu au fleuret. J’ai toujours pris ma deuxième arme en m’amusant. Il s’agit dĂ©sormais du sabre, que je pratique Ă©galement sans pression, en m’amusant. Cela m’a permis de battre l’annĂ©e dernière l’Allemand Maurice Schmidt, qui est devenu champion Paralympique 2024 Ă  Paris. Il avait Ă©tĂ© vexĂ© de se faire battre par quelqu’un de 62 ans ! Mais j’ai un don. En 1980, quand j’ai commencĂ©, le maĂ®tre d’armes des Invalides m’avait dit que j’avais un don, qu’il y en avait un par siècle et que c’était moi ! C’est pour ça que je veux continuer jusqu’aux Jeux Paralympiques de Los Angeles 2028.

« J’ai été voir un pote italien et je lui ai proposé d’échanger ma médaille d’or contre sa médaille de bronze »

Lors des Jeux Paralympiques de Rio 2016, vous avez remportĂ© une nouvelle mĂ©daille d’or en Ă©pĂ©e par Ă©quipe. Pouvez-vous nous raconter comment vous avez vĂ©cu la finale contre la Chine, gagnĂ©e de justesse ?

En demi-finale, on a gagné 45-25 contre la Pologne. Après la rencontre, j’étais confiant qu’on allait remporter l’or et je suis allé avec ma famille dans la zone internationale à côté de l’Arena. J’ai commencé à boire une bière et à manger de la pizza, ce qui en a étonné certains.

En finale, j’ai terminĂ© mon dernier relais sur le score de 38-40 et Romain Noble, notre dernier relayeur, a pris la suite. Un relais dure normalement trois minutes, mais ni Romain ni son adversaire n’a marquĂ© de point pendant la première minute. Dans ce cas-lĂ , le règlement stipule qu’on passe au relais suivant. Mais comme il s’agissait du neuvième et dernier relais, le règlement indique qu’on passe alors sur une mort subite : il ne reste alors plus qu’une minute pour finir le match, et l’un des tireurs reçoit une prioritĂ©, qui lui donne la victoire en cas d’égalitĂ© Ă  la fin de la minute. Romain a reçu cette prioritĂ©.

La mort subite a commencĂ© et Romain Noble s’est pris une touche. Il y avait 38-41 et moins d’une minute pour rattraper le retard. Il a alors tout donnĂ©. Il a pris un carton jaune pour s’être levĂ©, mais il s’est levĂ© en tout au moins quatre fois et on aurait dĂ» perdre le match. Et Ă  deux secondes de la fin, il a rĂ©ussi Ă  revenir Ă  41-41 ! Avec notre prioritĂ©, ce score nous faisait gagner. Lors des deux dernières secondes, le Chinois est allĂ© en arrière au lieu de tout donner pour mettre une touche, car il n’avait pas compris qu’il s’agissait de la mort subite. Sa coach ne connaissait pas le règlement car ne parlait pas anglais. C’est comme ça qu’on a gagnĂ© le titre !

Ce qu’il y a de beau, c’est que je gagnais de nouveau la médaille d’or par équipe douze ans après celle d’Athènes 2004. Il n’y avait pas eu d’épreuve par équipe en 2008 et 2012.

Vous avez remportĂ© 11 mĂ©dailles aux Jeux Paralympiques : 6 en or, 2 en argent et 3 en bronze. Quelle est celle qui vous a apportĂ© le plus d’émotions ?

C’est la médaille d’or en épée par équipe aux Jeux de Sydney 2000.

En demi-finale contre la Pologne, j’ai pris le dernier relais Ă  35-40. Lors du combat, le score est passĂ© Ă  38-43 et les Polonais Ă©taient euphoriques. A ce moment-lĂ , mon adversaire m’a fait le signe du 2 avec ses doigts, pour montrer qu’il ne lui restait que deux touches pour gagner. J’ai alors changĂ© de comportement et je suis revenu Ă  43-43. Il n’y a plus un bruit dans la salle. J’ai pris l’avantage Ă  44-43, il a Ă©galisĂ© Ă  44-44, et j’ai inscrit la dernière touche. On Ă©tait qualifiĂ©s en finale !

Avant la finale contre l’Allemagne, j’ai expliquĂ© Ă  mes coĂ©quipiers que ce serait bien qu’ils prennent un peu d’avance avant mon dernier relais car la victoire en demi-finale avait Ă©tĂ© un coup de chance. J’ai pris le dernier relais Ă  38-40 et on a gagnĂ© 45-41 ! C’étaient mes Jeux !

A la fin, alors qu’on Ă©tait encore en sueur et en tenue d’escrime, les Australiens ont proposĂ© d’aller directement manger un barbecue. C’était une belle fĂŞte et un moment très sympathique !

« C’est un kif personnel, à mon âge, de pouvoir les battre ! »

Vous avez participĂ© Ă  huit Ă©ditions des Jeux Paralympiques, entre SĂ©oul 1988 et Rio 2016. Laquelle vous a le plus marquĂ© ?

La plus belle Ă©dition Ă©tait Barcelone 1992. Il n’y avait pas encore toutes les règles et les contrĂ´les de sĂ©curitĂ©. On pouvait mĂŞme boire de la bière dans le Village. La pire Ă©dition Ă©tait Atlanta 1996. Ils avaient tout enlevĂ© après les Jeux Olympiques et il n’y  avait plus rien pour les Paralympiques, mĂŞme pas de musique !

Sinon, j’ai beaucoup aimĂ© les Jeux de SĂ©oul. C’est lĂ  oĂą on a dĂ©couvert l’Asie et leur rapiditĂ©. En une nuit, ils avaient installĂ© tous les goodies dans les magasins ! C’était un truc de malade ! Sydney et Athènes ont Ă©tĂ© gĂ©niaux ! Quant Ă  Londres, c’est l’édition oĂą le Paralympique s’est dĂ©voilĂ©.

Comment a Ă©voluĂ© le matĂ©riel en escrime fauteuil depuis vos premiers Jeux Paralympiques Ă  SĂ©oul en 1988 ? Y-a-t-il eu des changements significatifs ?

Oui. Je voulais arrĂŞter en 2000, mais j’ai dĂ©cidĂ© de continuer quand j’ai vu l’évolution des fauteuils d’escrime. Un Handifixe pesait plus de 50 kg, contre environ 15 kg maintenant. On peut dĂ©sormais le mettre dans une voiture et le transfĂ©rer sans grosse difficultĂ©. Par contre, c’est cher ! L’Handifixe coĂ»te 6500€ et est en carbone et en aluminium.

Vous avez actuellement 63 ans et vous avez une longĂ©vitĂ© exceptionnelle au plus haut-niveau. Quelle est la clĂ© selon-vous pour rester au plus niveau depuis tant d’annĂ©es ?

Le corps vieillit mais le bien-ĂŞtre est important. L’évolution de l’ostĂ©opathie et de la cryothĂ©rapie ont permis aux athlètes de mieux se prĂ©parer. On n’avait pas ça dans les annĂ©es 1980 ! J’ai vĂ©cu deux ans avec des tendinites au coude et Ă  l’épaule. Depuis, je fais très attention et je prends soin de moi pour perdurer. Fin 2022, je me suis cassĂ© l’épaule aux Championnats d’Europe. Je me suis fait opĂ©rer en mars 2023 et trois mois après, je recommençais Ă  tirer. Grâce Ă  la science, on rĂ©cupère plus vite.

Mais il faut aussi un mental d’acier pour se relever. Aller en compĂ©tition est ce qui m’excite le plus. Il faut aimer battre les autres. C’est un kif personnel, Ă  mon âge, de pouvoir les battre !

Vous n’avez pas participĂ© aux Jeux de Tokyo et de Paris. Comment voyez-vous votre futur ? Visez-vous les Jeux de Los Angeles 2028 ?

Je n’ai pas participĂ© aux Jeux de Tokyo Ă  cause des contraintes liĂ©es au covid-19. Ludovic Lemoine et moi avions une wild-card et on Ă©tait prĂŞts Ă  partir, mais l’organisation des Jeux de Tokyo a refusĂ© les wild-cards et n’a autorisĂ© que 4 athlètes par pays. L’équipe de France d’escrime n’a donc comptĂ© que 2 athlètes masculins en catĂ©gorie A et 2 en catĂ©gorie B. Il n’y a mĂŞme pas eu de femme française sĂ©lectionnĂ©e.  

Quant aux Jeux de Paris 2024, je n’ai pas pu dĂ©fendre mes chances de qualification Ă  cause de ma blessure Ă  l’épaule. La sĂ©lection a Ă©tĂ© très compliquĂ©e et mĂŞme un Français classĂ© neuxième du ranking n’a pas Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©, car la FĂ©dĂ©ration Internationale estimait qu’il y avait assez d’hommes pour faire les Ă©preuves Ă©quipes ! Notre FĂ©dĂ©ration internationale est très compliquĂ©e et fait des sĂ©lections sur des tableaux Excel. Ils ont sĂ©lectionnĂ© pour les Jeux deux Japonais qui n’étaient mĂŞme pas classĂ©.

Oui, le but est les Jeux de Los Angeles 2028 ! Mais on ne sait jamais ce qui peut arriver. Je suis reparti pour 2028 mais j’ai 63 ans, donc cela dĂ©pendra des Ă©ventuels problèmes qui pourraient m’arriver ! Si ça marche, tant mieux, mais si cela ne marche pas, il faudra passer Ă  autre chose !

Merci beaucoup Robert pour votre disponibilitĂ© !

La carrière de Robert Citerne en quelques lignes :

Robert Citerne participe à ses premiers Jeux Paralympiques en 1988 à Séoul, où il remporte deux médailles d’or, en épée individuelle et en fleuret par équipe, et une médaille d’argent, en épée par équipe. Lors des Jeux Paralympiques de Barcelone 1992, il obtient l’or en épée par équipe et le bronze en fleuret individuel.

Il continue d’enrichir son palmarès aux Jeux Paralympiques d’Atlanta 1996, avec l’argent en fleuret par équipe et le bronze en épée par équipe, puis aux Jeux de Sydney 2000, avec l’or en épée par équipe et le bronze en fleuret individuel, et aux Jeux d’Athènes, avec l’or en épée par équipe. Il participe aux Jeux Paralympiques de Pékin 2008 et de Londres 2012 mais ne monte pas sur le podium. Il devient de nouveau champion Paralympique d’épée par équipe à Rio en 2016.

Il compte également de nombreux titres de champion du monde en épée (individuelle en 1994 et 2006, par équipe en 1994, 2010 et 2015) et en sabre (par équipe en 2006). Suite à une blessure, il ne peut participer aux Jeux Paralympiques de Paris 2024. Aujourd’hui âgé de 63 ans, Robert Citerne vise les Jeux Paralympiques de Los Angeles 2028.

drapeau paralympique Participations aux Jeux Paralympiques de Séoul 1988, Barcelone 1992, Atlanta 1996, Sydney 2000, Athènes 2004, Pékin 2008, Londres 2012 et Rio 2016

medaille medaille medaille medaille medaille medaille Médaillé d’or aux Jeux Paralympiques de Séoul 1988 (fleuret individuel et épée individuelle), Barcelone 1992 (épée par équipe), Sydney 2000 (épée par équipe), Athènes 2004 (épée par équipe) et Rio 2016 (épée par équipe)

medaille medaille Médaillé d’argent aux Jeux Paralympiques de Séoul 1988 (épée par équipe) et Atlanta 1996 (fleuret par équipe)

medaille medaille medaille Médaillé de bronze aux Jeux Paralympiques de Barcelone 1992 (fleuret individuel), Atlanta 1996 (épée par équipe) et Sydney 2000 (fleuret individuel)

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