Interview d’Eloyse Lesueur-Aymonin
(athlétisme)

Championne du monde en salle de saut en longueur en 2014, Eloyse Lesueur-Aymonin a mis un terme Ă  sa carrière l’annĂ©e dernière. La double championne d’Europe nous raconte notamment sa participation frustrante aux Jeux Olympiques de Londres 2012 contre des athlètes dopĂ©es.

Eloyse, tu es devenue championne d’Europe du saut en longueur en juin 2012. A l’époque, ce titre Ă©tait-il un objectif clair ou bien une bonne surprise ?

C’était clairement un objectif. Avec mon entraĂ®neur de l’époque, Renaud Longuèvre, on avait organisĂ© ma prĂ©paration dans le but d’avoir deux pics de forme : le premier aux Championnats d’Europe et le deuxième aux Jeux Olympiques de Londres.

Je suis arrivée aux Championnats d’Europe en pleine possession de mes moyens. Mon but était de ne pas me fatiguer en qualifications en ayant besoin d’un seul saut afin de me concentrer sur la finale. Et c’est comme cela que ça s’est passé !

Tu as participé aux Jeux Olympiques de Londres 2012, où tu as terminé le concours à la huitième place, avant d’être ensuite classée cinquième suite à des disqualifications pour dopage. Comment as-tu vécu ce concours ?

Quand je suis arrivĂ©e aux qualifications de ces Jeux de Londres, j’ai tout de suite remarquĂ© que certaines filles n’étaient pas du tout les mĂŞmes que celles que j’avais rencontrĂ©es pendant la saison. Elles avaient disparu pendant un mois, et Ă©taient complètement diffĂ©rentes physiquement lors des JO. J’avais l’impression qu’elles s’étaient transformĂ©es, passant de chevaux de course Ă  des Formules 1 ! J’avais la sensation de me battre de façon complètement inĂ©quitable.

Je n’ai pas très bien vĂ©cu ce concours, car j’ai senti que le classement allait bouger après. Je me suis battu avec mes armes, j’ai effectuĂ© la performance que je devais faire et j’ai terminĂ© huitième le jour J. Je suis dĂ©sormais reclassĂ©e Ă  la cinquième place, mais il reste peut-ĂŞtre encore des filles « pas clean Â» devant moi au classement. Ces Jeux ont Ă©tĂ© pour moi Ă  la fois grisants et très frustrants.

« J’ai tout de suite remarqué que certaines filles n’étaient pas du tout les mêmes que celles que j’avais rencontrées pendant la saison »

Quels souvenirs gardes-tu de ces JO en dehors de ta compĂ©tition ?

Avant d’arriver Ă  Londres, je m’imaginais que les Jeux seraient comme des Championnats du monde, mais avec plein de sports. Je n’avais pas du tout pris la mesure de l’évĂ©nement. Je me suis prise une grosse gifle sur place ! Je me suis rendue compte que c’était un Ă©vĂ©nement d’une autre dimension. Tu ne reprĂ©sentes plus uniquement ton sport, mais une nation. Ça a une saveur particulière. MĂŞme aujourd’hui, quand je raconte comment j’ai vĂ©cu ces Jeux de Londres, c’est difficile pour moi d’expliquer tant c’était fort et de l’ordre de l’exceptionnel.

En mars 2014, tu es devenue championne du monde en salle. Peux-tu nous raconter comment tu as vécu ce concours de l’intérieur ?

A la base, je n’avais pas du tout l’intention de faire de saison hivernale. Avec mon entraîneur, on avait décidé de passer l’hiver à travailler mes qualités de vitesse. J’ai ainsi fait du sprint tout l’hiver. A un moment donné, on s’est dit que ça pourrait être sympa de faire une compétition juste pour le plaisir. En effet, j’aime le sprint, mais ce qui me fait vibrer, c’est le saut en longueur. On est partis à New-York concourir à un meeting. J’y ai réussi un très bon concours, qui m’a permis d’être qualifiée pour les Championnats du monde en salle.

On s’est alors demandé si j’allais y participer et on a pensé que ça valait le coup : même si je n’étais pas prête techniquement pour le saut en longueur, je pouvais m’appuyer sur mes qualités de vitesse. Et au pire, cela ferait toujours un bon entraînement pour l’été.

Je suis ainsi partie à ces Championnats du monde sans pression et sans attente particulière, avec pour seul objectif d’exprimer mes qualités de vitesse.

Quand le concours a commencĂ©, mon cĂ´tĂ© hargneuse et battante a repris le dessus. Je voulais tout faire pour gagner. Mon premier essai est passĂ© tout seul. J’ai senti que mes jambes rĂ©pondaient. Sans aucune prĂ©tention, avant mĂŞme la fin du concours, je sentais que j’allais devenir championne du monde. En effet, j’avais la sensation que mes jambes allaient faire ce que j’allais leur demander Ă  chaque saut. J’ai pris la tĂŞte du concours lors du quatrième essai. J’ai ensuite pris des risques pour essayer d’aller encore plus loin. Quand la dernière concurrente est tombĂ©e dans le sable, j’ai su que j’avais gagnĂ©. C’était fou ! J’étais championne du monde !

Je me souviens que ma famille m’a ensuite appelĂ© et m’a dit : « tu es championne du monde ! Â». Et j’ai rĂ©pondu : « arrĂŞte, je suis en train de me faire maquiller pour le podium, je n’ai pas envie de pleurer tout de suite ! Â». J’ai savourĂ© !

« Avant même la fin du concours, je sentais que j’allais devenir championne du monde »

Tu as Ă©galement concouru en triple saut et tu as mĂŞme Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©e Ă  la fois en triple saut et en saut en longueur pour les Championnats du monde 2017, pour lesquels tu as dĂ» dĂ©clarer forfait sur blessure. Comment cette idĂ©e de tenter cette autre discipline Ă  haut-niveau t’es venue ?

C’est Teddy Tamgho (ancien champion du monde du triple saut qui est devenu fin 2015 l’un des entraĂ®neurs d’Eloyse, ndlr) qui m’a tannĂ© pour en faire ! J’ai eu une grosse blessure en 2015, une rupture du ligament croisĂ© postĂ©rieur du genou, et j’étais donc devenue sensible Ă  la blessure de façon gĂ©nĂ©rale. Teddy m’a ensuite proposĂ© de tenter de faire une annĂ©e de triple saut. Je l’ai pris comme un dĂ©fi et j’ai acceptĂ©. Je me disais que mĂŞme si ce sont deux disciplines totalement diffĂ©rentes, cela terminait toujours dans un bac Ă  sable.

Il a commencé à me faire faire des foulées bondissantes et je détestais en faire. Je n’étais pas très bonne techniquement mais cela sortait un peu tout seul. J’ai réalisé 14,40 m. Mais le souci, c’est que je n’étais pas capable de bien dérouler le pied. J’attaquais le talon. J’ai commencé à avoir une contusion osseuse au talon, j’ai déclaré forfait pour les Championnats du monde et j’ai décidé d’arrêter le triple saut.

Tu as mis un terme Ă  ta carrière en juin 2024, après une mĂ©daille d’argent lors des Championnats de France mais sans avoir atteint les minima pour les JO de Paris. Quel est aujourd’hui ton sentiment : la joie d’avoir terminĂ© sur un podium ou bien la dĂ©ception de ne pas avoir rĂ©ussi Ă  te qualifier pour les JO de Paris ?

Je n’ai pas de dĂ©ception de ne pas m’être qualifiĂ©e pour les Jeux Olympiques de Paris. C’était avant tout une aventure que je voulais vivre pleinement avec mon petit garçon, qui a dĂ©sormais trois ans. Je ne voulais pas sacrifier ma vie de mère pour le sport. Je commençais Ă  ĂŞtre fatiguĂ©e physiquement et mentalement, mais je voulais vivre ce dĂ©fi jusqu’au bout. Je me suis prĂ©parĂ©e avec mon entraĂ®neur. Je lui avais clairement dit que s’il trouvait que je n’étais pas au niveau pendant l’annĂ©e, il devait me le dire et que j’arrĂŞterais alors sans problème. Je ne voulais vraiment pas finir ma carrière en sautant difficilement Ă  6,10 m !

Quand j’ai terminĂ© mon dernier essai aux Championnats de France, j’ai regardĂ© la planche et le public. Je savais que c’était fini. A 36 ans, finir sur un 6,66 m, c’est pas mal ! Je n’avais plus envie de repartir sur une nouvelle saison. Je suis très heureuse de ma carrière et je suis partie complètement sereine et comblĂ©e de tout ce que j’avais fait !

Comment se passe ta reconversion ?

Je suis en train de terminer ma formation pour être préparatrice mentale. Je vais principalement accompagner des sportifs, mais pas que. J’ai passé beaucoup de temps dans le sport et je veux aussi accompagner des entrepreneurs ou des personnes qui ont besoin d’être accompagnées dans leurs objectifs de vie personnels.

Merci beaucoup Eloyse et bravo pour ta carrière !

CrĂ©dits photos : Erik van Leeuwen (photo 1), L’Equipe (photo 2) et Dmitry Rozhkov (photo 3)

La carrière d’Eloyse Lesueur-Aymonin en quelques lignes :

Eloyse Lesueur pratique le saut en longueur et remporte son premier titre de championne de France en 2006. Elle se classe 4e des Championnats du monde en salle 2008 et des Championnats d’Europe en salle 2011. Elle est éliminée en qualifications lors des Championnats du monde 2009 et 2011.

Elle devient championne d’Europe en 2012. Lors des Jeux Olympiques de Londres 2012, elle termine 8e de la compétition mais elle est désormais classée 5e suite à des disqualifications pour dopage. En 2013, elle est vice-championne d’Europe en salle et est éliminée en qualifications des Championnats du monde. En 2014, elle décroche les titres de championne du monde en salle et de championne d’Europe.

Elle est éliminée en qualifications aux Championnats du monde 2019. En juin 2024, elle met un terme à sa carrière à l’âge de 35 ans. Elle compte en tout 8 titres de championne de France (2006, 2010 à 2014, 2017 et 2020) et est toujours détentrice du record de France en salle (6,90 m en 2013). Eloyse Lesueur-Aymonin suit actuellement une formation de préparatrice mentale.

drapeau paralympique Participation aux Jeux Olympiques de Londres 2012

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