Interview d’Eric Delaunay
(tir)

Après avoir pris la cinquième place des Jeux Olympiques de Tokyo en skeet, Eric Delaunay a terminĂ© neuvième des JO de Paris 2024. Il nous dĂ©crit comment il a vĂ©cu ses Ă©preuves et explique l’ambiance Olympique Ă  Châteauroux.

Eric, tu as participĂ© Ă  tes premiers Jeux Olympiques en 2016 Ă  Rio et tu as terminĂ© septième du skeet. Quels souvenirs gardes-tu de cette première participation ?

Mon souvenir le plus marquant, c’est l’entrée dans le stade Maracaña lors de la cérémonie d’ouverture. Teddy Riner (le porte-drapeau de la délégation française en 2016, ndlr) était devant nous et on a chanté la Marseillaise en entrant. C’était un moment unique et ça m’a vraiment donné des frissons de dingue. Il s’agit d’ailleurs de ma première et seule cérémonie d’ouverture, car je n’y ai pas participé ni à Tokyo, car la date de ma compétition était trop proche, ni à Paris, car les épreuves de tir étaient à Châteauroux et j’ai préféré me concentrer sur mon entraînement.

Le fait de participer aux Jeux Olympiques Ă  Rio Ă©tait un rĂŞve de gosse qui se rĂ©alisait. J’avais gagnĂ© le quota Olympique pour les Jeux de Londres 2012, mais la FĂ©dĂ©ration avait choisi un autre tireur. Cela avait alors Ă©tĂ© une grosse dĂ©ception. J’ai continuĂ© Ă  travailler et j’ai rĂ©ussi Ă  aller Ă  ceux de Rio. Faire partie des meilleurs mondiaux et ĂŞtre prĂ©sent aux Jeux Olympiques Ă©tait une première consĂ©cration !

En ce qui concerne ma compĂ©tition, j’ai tout donnĂ© mais j’ai Ă©chouĂ© aux portes de la finale. En qualifications, on Ă©tait cinq tireurs Ă  avoir le mĂŞme score et Ă  se disputer les deux places restantes pour la finale. On a alors effectuĂ© un « shoot-off Â», une mort subite. Au moment oĂą on n’était plus que trois concurrents pour deux places, j’ai loupĂ© ma cible. C’était une immense dĂ©ception de passer si proche de la finale. Mais ça a aussi Ă©tĂ© un tremplin pour la suite de ma carrière.

« L’effervescence à Châteauroux a été beaucoup plus forte que ce qu’on avait imaginé »

Tu as participĂ© Ă  la finale des Jeux Olympiques de Tokyo en 2021, dont tu as pris la cinquième place. Peux-tu nous raconter comment tu as vĂ©cu cette finale de l’intĂ©rieur ?

Je me suis servi de mon expérience des Jeux de Rio pour bien préparer ceux de Tokyo. Les JO sont une compétition complètement à part. Il s’agit de la seule compétition pour nous où on rencontre d’autres athlètes d’autres sports, et où on est au milieu des meilleurs sportifs mondiaux.

J’ai terminĂ© premier des qualifications, en battant le record Olympique. Tout s’était parfaitement passĂ©. J’étais dans ma bulle. En finale, j’ai loupĂ© un premier plateau mais j’étais toujours dans ma bulle. Puis j’en loupĂ© un deuxième, lors du dixième plateau. A ce moment-lĂ , ma bulle a complètement Ă©clatĂ©. J’avais loupĂ© une cible sur 125 en qualifications, et lĂ , je venais d’en louper deux sur 10 ! Le stress m’a entièrement envahi et je n’ai pas rĂ©ussi Ă  me remettre dans ma bulle. J’ai pris une chape de plomb sur la tĂŞte. J’ai refait des erreurs et j’ai terminĂ© cinquième des Jeux. C’était une immense dĂ©ception. Mes rĂŞves de mĂ©dailles s’étaient envolĂ©s.

Lors des Jeux Olympiques de Paris 2024, tu as terminĂ© neuvième du skeet individuel, en loupant la qualification pour la finale Ă  la mort subite. On imagine que cela a Ă©tĂ© une grosse dĂ©ception, d’autant plus devant le public français ?

Ces qualifications ont Ă©tĂ© l’une des Ă©preuves les plus dures de toute ma carrière. En tir, le public est en gĂ©nĂ©ral assez calme. Pour les JO, on s’était prĂ©parĂ©s Ă  un public français avec beaucoup de ferveur. Mais l’effervescence Ă  Châteauroux a Ă©tĂ© beaucoup plus forte que ce qu’on avait imaginĂ©. Les gens Ă©taient en folie du matin au soir ! C’était gĂ©nial, mais on n’a pas l’habitude de ça dans notre discipline.

C’était difficile Ă  gĂ©rer sur le moment parce qu’il a fallu s’adapter très vite et « lutter Â» contre cette ferveur du public pendant les deux jours. Quand j’ai loupĂ© la qualification pour la finale sur cette mort subite, c’était très dur pour moi Ă  titre personnel, car je suis passĂ© Ă  cĂ´tĂ© pour mes troisièmes Jeux, mais aussi parce que j’ai senti la dĂ©ception du public.

Je garde cependant un très bon souvenir de cette ferveur du public. Je suis très content d’avoir vĂ©cu cela et je sais que je ne le revivrai jamais. C’était magnifique !

Tu as Ă©galement terminĂ© neuvième avec Lucie Anastassiou de l’épreuve de skeet en Ă©quipe mixte, qui Ă©tait pour la première fois au programme Olympique. On imagine que cela a Ă©tĂ© compliquĂ© de se focaliser sur cette Ă©preuve après la dĂ©ception de l’individuel ?

J’ai eu la chance d’avoir une journée de repos entre mes deux compétitions. Je suis resté au camp de base et j’ai pris la journée pour moi, pour me reposer et faire le vide. J’ai appelé mon préparateur mental et j’ai essayé de me remobiliser à 100%.

On a bien entamé cette compétition mixte. Après les deux premières séries, on était deuxième ex-aequo. J’étais alors à 50/50 et Lucie à 48/50. Malheureusement, la troisième et dernière série a été plus compliquée pour Lucie. Je pense qu’elle s’est beaucoup mis la pression. Elle a été un peu plus fébrile au niveau du tir et elle a loupé trois plateaux sur les quinze derniers. On a terminé neuvième. On a été vraiment très triste. On a pris un gros coup. On est une équipe et je ne remets pas du tout la faute sur elle. Je n’ai peut-être pas eu les bons mots au bon moment pour l’aider quand je sentais qu’elle était en difficulté.

Le chiffre neuf nous a malheureusement collĂ© Ă  la peau lors de ces JO : neuvième place pour moi en individuel, neuvième place pour Lucie en individuel, et neuvième place ensemble en Ă©quipe mixte !

« Après les Jeux, comme de nombreux autres Français qui n’ont pas décroché de médaille, j’ai eu une période un peu compliquée »

Les épreuves de tir des JO de Paris ont eu lieu à Châteauroux. As-tu eu l’occasion d’aller sur Paris avant ou après tes épreuves ?

Non. La cérémonie d’ouverture avait lieu sept jours avant mon début de compétition. Mais comme on était basés à Châteauroux, il fallait partir le matin, vers 9-10h, et revenir la nuit d’après, vers 3-4h du matin. Cela impliquait de ne pas pouvoir s’entraîner le lendemain de la cérémonie. Comme il n’y avait pas d’entraînement possible le surlendemain, cela signifiait donc trois jours complets sans entraînement. Ma compétition était ma priorité. Afin d’économiser de l’énergie et ne pas me mettre dans le rouge avant mon épreuve, j’ai décidé de ne pas aller à la cérémonie d’ouverture. On l’a regardée à la télé, au camp de base.

J’avais dit avant les JO que je ne monterai sur Paris après mes épreuves que si je remportais une médaille. Je suis le seul de l’équipe de France de tir à ne pas y être allé. Je n’avais absolument pas la tête à aller faire la fête ni à aller assister à d’autres sports dans les tribunes. Je suis rentré chez moi le soir même de l’épreuve mixte. Après les Jeux, comme de nombreux autres Français qui n’ont pas décroché de médaille, j’ai eu une période un peu compliquée.

Tu comptes Ă  ton palmarès un titre de champion d’Europe individuel, deux titres de champion du monde par Ă©quipe et deux titres de champion d’Europe par Ă©quipe mixte et par Ă©quipe. Quel est le titre qui t’a apportĂ© le plus d’émotions ?

C’est mon titre de champion d’Europe en individuel en 2011. En dĂ©cembre 2010, on m’a dĂ©tectĂ© un anĂ©vrisme cĂ©rĂ©bral. J’ai Ă©tĂ© opĂ©rĂ© en urgence au cerveau en fĂ©vrier 2011. J’ai repris le tir quasiment quatre mois plus tard Ă  cause des contre-indications mĂ©dicales. Et deux mois après avoir repris l’entraĂ®nement, je suis devenu champion d’Europe ! C’était ma première mĂ©daille individuelle et elle Ă©tait du plus beau mĂ©tal ! Ça reste mon plus beau souvenir !

Pour finir, quels sont tes prochains objectifs ? Te projettes-tu aux Jeux Olympiques de Los Angeles 2028 ?

Mon dernier objectif, c’est Los Angeles 2028. Je pense que j’arrĂŞterai ma carrière après. Pour pouvoir dĂ©crocher ma place aux Jeux de 2028, il y a des objectifs intermĂ©diaires. Cette annĂ©e, il y a les Championnats d’Europe Ă  Châteauroux en juillet, ainsi que les Championnats du monde. Il n’y aura pas de quota Olympique Ă  y obtenir mais j’ai envie de briller Ă  domicile !

Merci beaucoup Eric et bonne chance pour cette annĂ©e !

Crédits photo 2 : FFTir

La carrière d’Eric Delaunay en quelques lignes :

Pratiquant le skeet, Eric Delaunay décroche le titre de champion d’Europe en individuel en 2011. Aux Championnats du monde, il se classe 4e en individuel en 2014 et obtient par équipe le bronze en 2014 puis l’or en 2015 (avec Emmanuel Petit et Anthony Terras).

Lors des Jeux Olympiques de Rio 2016, il termine 7e. Par équipe, il devient champion du monde en 2018 et champion d’Europe en 2019 (avec Emmanuel Petit et Anthony Terras). Il se classe 4e des Championnats du monde 2019 en individuel.

En 2021, il atteint la finale des Jeux Olympiques de Tokyo et termine 5e. En mai 2024, il remporte le titre de champion d’Europe par équipe mixte (avec Lucie Anastassiou). Lors des Jeux Olympiques de Paris 2024, il finit 9e à la fois en individuel et par équipe mixte. Aujourd’hui âgé de 37 ans, Eric Delaunay vise les Jeux Olympiques de Los Angeles 2028.

Participations aux Jeux Olympiques de Rio 2016, Tokyo 2020 et Paris 2024

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