Yvan Wouandji est la tĂŞte d’affiche de l’Ă©quipe de France de cĂ©cifoot. Le vice-champion Paralympique Ă Londres en 2012 nous explique comment fonctionne cette version du football et nous partage son expĂ©rience.
Yvan, tu es devenu champion d’Europe de cécifoot avec l’équipe de France en 2011, à l’âge de 18 ans seulement. Peux-tu nous expliquer tes débuts dans le cécifoot ?
Quand je suis né, je voyais. J’ai perdu la vue à l’âge de 10 ans suite à un décollement de la rétine. Je suis alors allé dans une école spécialisée pour les mal- et les non-voyants. J’y ai appris à lire en braille, à me déplacer avec une canne et à m’adapter à mon handicap. En parallèle de ma scolarité, j’ai découvert l’adaptation du football pour les mal- et les non-voyants : le cécifoot. J’avais envie de jouer mais il y a un âge minimum de 15 ans en cécifoot (on n’est pas assez nombreux donc tous les joueurs jouent ensemble et il y a des risques de blessure face aux adultes). Je suis donc joueur depuis la saison 2008-2009, depuis l’âge de 15 ans. J’ai eu la chance d’être sélectionné en équipe de France deux ans plus tard, en 2010. J’ai participé cette année-là à la Coupe du monde en Angleterre mais je n’ai pas beaucoup joué. J’écoutais et j’observais. L’année d’après, en 2011, on a été champions d’Europe en Turquie et j’ai joué tous les matchs de la compétition dont la finale. En tant que finaliste, on était qualifiés pour les Jeux Paralympiques de Londres 2012 !
Peux-tu nous présenter le cécifoot ?
Le cécifoot se joue à cinq contre cinq sur un terrain synthétique en extérieur. Seul le gardien de but est voyant. Les quatre joueurs de champ ont tous un bandeau sur les yeux, ce qui permet aux non- voyants et aux malvoyants d’être tous à égalité. Le ballon fait du bruit, ce qui nous permet de l’entendre quand il est en mouvement. Il y a des barrières d’environ 1m 50 au niveau de la ligne de touche pour que les joueurs et le ballon restent dans l’aire de jeu. Un match dure 50 minutes. Les cages sont des cages de handball. Comme on ne se voit pas sur le terrain, on communique énormément. On se dit par exemple : « j’ai », « passé », « perdu ». Cela permet à l’équipe de savoir qui a le ballon et d’organiser le jeu. Le cécifoot est donc d’abord et avant tout du foot, même s’il y a bien sûr des adaptations.
Derrière le but où on doit marquer, il y a un guide qui voit et qui donne des indications aux attaquants. Il va par exemple dire au porteur de la balle à quelle distance du but il se situe. Grâce à sa voix, on situe de suite l’axe du but. Après, il y a beaucoup de place à l’instinct. On est orientés par le gardien, le coach et le guide, mais ils ne nous disent pas quoi faire.
En France, on a un beau championnat composé de dix clubs, une Coupe de France et une équipe de France. Pour les pays, il y a une Coupe d’Europe, une Coupe du monde et les Jeux Paralympiques depuis Athènes 2004. Le cécifoot est beaucoup développé dans les pays où le football est populaire, notamment au Brésil et en Argentine, et aussi dans les pays mieux développés économiquement car cela nécessite la création de structures. De plus en plus de pays s’y mettent car ils se rendent compte des retombées médiatiques ou veulent être bien vus en développant le sport pour les sportifs en situation de handicap. Le cécifoot est un sport en construction.
« Les gens nous applaudissaient et nous faisaient la haie d’honneur »
Tu as remporté la médaille d’argent des Jeux Paralympiques de Londres en 2012. A l’époque, cette médaille était-elle un objectif clair en arrivant aux Jeux ou bien plutôt une bonne surprise ?
Cela a été une bonne surprise. Quand on a vu notre poule, on ne donnait sincèrement pas cher de notre peau : il y avait le Brésil et la Chine, les favoris, et la Turquie, qu’on avait eu du mal à battre l’année précédente. On était outsiders mais on y croyait en tant que compétiteur ! Au premier match, on a fait 0-0 contre le Brésil à la suite d’un match énorme. Contre la Chine, on a aussi fait 0-0 dans un match très équilibré. Contre la Turquie, on devait gagner pour être qualifiés, ce qu’on a réussi. En demi-finale contre l’Espagne, on a réalisé notre plus beau match et on a gagné 2-0. Le regret, c’est quand même la finale. On est arrivé à bout de souffle alors que les Brésiliens étaient encore en forme. Ils ont été meilleurs que nous mais c’est frustrant car on a pris un pénalty et un but contre notre camp. Il me reste vraiment un goût d’inachevé. J’aurais aimé refaire cette finale avec plus de force, mais les Brésiliens méritent leur victoire.
Quels souvenirs gardes-tu de ces Jeux Paralympiques de Londres ?
Ce qui m’a marqué sur les Jeux, c’est le nombre de personnes qui convergeaient vers le Stade Olympique lorsqu’on est allés à la cérémonie d’ouverture. Il y avait énormément d’engouement. Les gens nous applaudissaient et nous faisaient la haie d’honneur. Le fait d’entendre la Reine et de la savoir pas loin dans le stade m’a touché et donné des frissons.
Il y avait aussi beaucoup de médias. On a eu cette médaille d’argent et cela a eu des retombées sur nos vies. On a été décorés de l’ordre national du Mérite par François Hollande. On a été beaucoup plus reconnus, non plus en tant qu’handicapés mais en tant que sportifs de haut niveau. On fait aussi du sport pour des revendications, pour être mieux intégrés dans la société et dans les entreprises. On veut faire évoluer le regard des gens sur le handicap. On souhaite qu’on nous voit avec nos forces et qu’on ne nous juge pas parce qu’on est non-voyants.
En 2015, tu as marqué un superbe but contre l’Allemagne qui a beaucoup été repris dans les médias et sur Internet. On imagine que cela a été très plaisant pour toi d’avoir cette reconnaissance ?
Oui. Déjà , ce but a été très important parce qu’il restait 3 minutes de jeu et il y avait 0-0. Mon poste de prédilection est attaquant gauche, mais j’ai joué défenseur sur ce match. Mes montées étaient donc limitées. Je suis parti de ma défense, j’ai éliminé l’équipe adverse et j’ai marqué ce but qui nous a permis de gagner 1-0 et qui a aussi permis au cécifoot de se faire connaître mondialement. Beaucoup de gens m’ont découvert au travers de cette action et me suivent depuis ce jour-là . La vidéo a énormément tourné et est passée dans les médias, à la télé et sur Internet.
« Je pense que la Fédération Française de Football et les clubs valides devraient nous aider pour les infrastructures et les équipements »
Tu es en équipe de France depuis 2010. Comment la condition du cécifoot a évolué depuis dix ans ?
Le niveau des équipes a augmenté et le cécifoot se développe. Quand j’ai commencé, il y avait 8 équipes dans le Championnat et il y en a désormais 10. De plus en plus de non-voyants veulent jouer au foot. Mais je pense que la Fédération Française de Football et les clubs valides devraient nous aider pour les infrastructures et les équipements. Cela permettrait de nous améliorer et de rendre l’équipe de France encore plus forte demain. Aujourd’hui, on dépend de la Fédération Française Handisport, qui gère 60 sports.
Il y a aussi de plus en plus d’engouement. On effectue des interventions dans les entreprises, dans les écoles et dans les clubs sportifs pour sensibiliser au handicap et faire découvrir le cécifoot. On met par exemple les gens en situation avec un bandeau sur les yeux. Au niveau médiatique, je collabore beaucoup avec les médias et on essaie de les faire venir sur les compétitions. Il y a des médias qui jouent vraiment le jeu !
Tu es devenu vice-champion d’Europe en 2019 avec l’équipe de France. Sens-tu que les attentes sur toi sont désormais plus importantes ?
Oui, de plus en plus. J’ai un bon ratio donc il y a beaucoup d’attentes sur moi dans mon club où je suis capitaine et en équipe de France où je joue depuis des années. On attend que je marque, que je fasse marquer, et aussi que je fasse encore plus de replis défensifs, ce qui est mon point faible. Ces attentes me font plaisir parce que j’ai l’impression de compter et d’être important dans le groupe, que ce soit en club ou en équipe de France. J’essaie toujours de tout donner !
L’équipe de France ne s’est malheureusement pas qualifiée pour les Jeux Paralympiques de Rio 2016. Est-ce le plus grand regret de ta carrière à l’heure actuelle ?
Oui, c’est un grand regret. On a joué le Championnat d’Europe 2015 (qualificatif pour les Jeux Paralympiques 2016, ndlr) en étant amoindris. Les Jeux de Rio étaient dans le pays du football. J’aurais aimé y être et affronter l’équipe du Brésil de cécifoot au Maracanã. Pour un footeux, il n’y a rien de plus beau que de jouer au Brésil. J’ai aussi l’impression que les Jeux de Rio ont bien aidé le développement du sport de beaucoup d’équipes y ayant participé. C’est dommage mais c’est oublié. On prépare désormais les Jeux de Tokyo et les Jeux de Paris. J’espère que le public français sera à fond derrière nous et qu’on leur fera plaisir en allant loin sur les compétitions.
L’équipe de France est qualifiée pour les Jeux Paralympiques de Tokyo qui ont été décalés à 2021 à cause du coronavirus. Comment as-tu digéré la nouvelle et quels seront les objectifs de l’équipe de France ?
Au début du confinement, on était encore en pleine préparation pour les Jeux et on avait beaucoup de séances d’entraînement. Au bout de deux semaines de confinement, on a eu l’information que les Jeux étaient reportés. L’urgence sanitaire a bien sûr pris le pas sur les enjeux sportifs. J’étais très déçu parce que j’ai fait beaucoup de sacrifices et je me suis beaucoup entraîné. Il y a aussi le doute de se dire qu’il peut se passer beaucoup de choses en un an. On n’est pas sûr que les Jeux aient lieu en 2021. J’espère aussi que je ne serai pas blessé. J’ai mis un peu de temps à digérer et à accepter. C’est frustrant mais il faut faire avec. Aujourd’hui, on est un peu dans le flou et on ne sait pas quand on pourra reprendre les entraînements. Je me dis tout de même que cela va nous donner une année supplémentaire cela ne peut que nous être bénéfique si on travaille bien. En ce qui concerne les objectifs de l’équipe de France, ce sera d’aller le plus loin possible et de faire la meilleure performance !
Merci beaucoup Yvan et bonne chance pour les Jeux Paralympiques l’année prochaine !
Crédits photos 3 : Cécifoot France
La carrière d’Yvan Wouandji en quelques lignes :
Yvan Wouandji perd la vue à l’âge de 10 ans et commence le cécifoot à l’âge de 15 ans. Deux ans plus tard, il participe à sa première compétition internationale avec l’équipe en France lors de la Coupe du monde 2010 (5e place). En 2011, il devient champion d’Europe.
Lors des Jeux Paralympiques de Londres en 2012, il remporte la médaille d’argent avec l’équipe de France. Il obtient également l’argent aux Championnats d’Europe 2013, année où il est élu sportif Espoir français de l’année. Il participe ensuite à la Coupe du monde en 2014 (9e place) et au Championnat d’Europe en 2015 (5e place) et en 2017 (4e place).
En 2019, il obtient la médaille d’argent du Championnat d’Europe. Cette place qualifie l’équipe de France pour les Jeux Paralympiques de Tokyo, qui ont été décalés à 2021. Aujourd’hui âgé de 27 ans, Yvan Wouandji est l’un des piliers de l’équipe de France.
Participation aux Jeux Paralympiques de Londres 2012
Médaillé d’argent aux Jeux Paralympiques de Londres 2012 (football à 5 tournoi masculin)
On ne peut qu’ĂŞtre admiratif de tels sportifs. Je viens de voir la vidĂ©o de son but contre l’Allemagne, très impressionnant !