Laurent Luyat est l’un des journalistes sportifs français les plus connus. Il prĂ©sente depuis plus de vingt ans les plus grands Ă©vĂ©nements sportifs sur France TĂ©lĂ©visions et on le retrouvera Ă l’antenne des Jeux Olympiques de Paris 2024. Il vient Ă©galement d’Ă©crire un livre, « Les coups du sport Jeux Olympiques 1896-2024 ». Entretien.
Laurent, vous êtes l’une des figures du Sport de France Télévisions. Pouvez-vous nous raconter vos débuts comme journaliste sportif ?
J’ai commencé comme pigiste au journal Le Progrès à Grenoble, d’où je suis originaire. J’avais 18 ans, je m’occupais des sports et je partais sur ma mobylette voir par exemple les matches de quatrième division de basket féminin ou les rencontres de Promotion d’Honneur régionale de football. Puis j’ai postulé à Radio France Isère (désormais nommée France Bleu Isère) et j’ai été pris un an après comme pigiste.
J’ai ensuite basculé sur France 3 Grenoble, où j’ai présenté le magazine des Sports et aussi les deux dernières années le journal des Alpes. En 1995, j’ai envoyé une cassette vidéo de l’émission des Sports au rédacteur en chef de « Tout le Sport », Jacques Ségui. Mais il m’a répondu qu’il y avait déjà des présentateurs en place. Trois ans après, une place s’est libérée pour présenter l’émission en remplacement pendant l’été et il a pensé à moi. Il a réussi à me joindre. C’est le moment où j’ai mis un pied dans les Sports à France Télé. Ils m’ont conservé pour toutes les périodes de vacances qui ont suivi et un an après, en 1999, j’ai été titularisé dans le service des Sports.
Vous présentez depuis plus de vingt ans les plus grands événements sportifs sur France Télévisions. Comment êtes-vous arrivé à ce poste ?
Patrick Chêne, directeur du service des Sports à ce moment-là , m’a sélectionné pour les JO de Sydney. Il a décidé en janvier que j’allais être l’un des trois présentateurs, avec Gérard Holtz et Pierre Sled. Il était prévu que je m’occupe de la tranche correspondant à la nuit en France (de 23h à 5h du matin). Puis Charles Biétry a remplacé Patrick Chêne et il a choisi de se séparer de Pierre Sled. Et en juin, Gérard Holtz a accepté de présenter le Journal de 13 heures de France 2 à la rentrée. Il ne restait donc plus que moi pour faire seize heures d’antenne ! Finalement, Christophe Josse est entré dans le service et on a présenté les JO à deux. On a effectué chacun huit heures par jour, en alternance par période de quatre heures. J’ai donc directement débuté sur les JO, mais il n’était pas prévu que je m’occupe des tranches phares ! C’est un bon souvenir !
« Il faut toujours se renouveler »
Vous animez les directs d’événements sportifs aussi divers que les Jeux Olympiques, le tournoi de Roland-Garros et le Tour de France. Pouvez-vous nous expliquer comment vous-vous préparez ?
Je suis les résultats sportifs toute l’année. Le but est de ne pas déconnecter quand je suis hors événement. Avant Roland-Garros, le Tour de France ou les JO, je me plonge vraiment dans les informations des disciplines, des Français et des étrangers qui peuvent briller. C’est un travail journalistique normal. J’essaie d’avoir un maximum de connaissances. Mais mon rôle est d’animer l’antenne et d’être pertinent dans les relances auprès des consultants et des invités. C’est plus un rôle général. Je ne suis pas dans la technique.
Il y a aussi une part d’improvisation car tout se fait en direct. « Vélo Club » est par exemple l’émission la moins facile à présenter car on revient sur l’étape qui vient de se terminer. Il y a bien sûr des séquences et des rubriques qu’on élabore en amont, mais on ne peut pas vraiment préparer l’émission.
Enfin, la préparation consiste aussi à se renouveler. On essaie d’apporter des nouveautés et des nouvelles séquences chaque année. Par exemple, lors du dernier Tour de France, on a lancé une séquence où on lance une roue contenant les numéros de tous les coureurs. Un journaliste doit nous livrer le lendemain un reportage sur le coureur dont le numéro est tombé. Cela peut donc tomber sur Pogačar comme sur un illustre inconnu du peloton ! Il faut toujours se renouveler. C’est aussi une préparation qui compte, au-delà des connaissances à avoir pour animer ces événements !
Votre rôle est d’être un chef d’orchestre en direct et il vous arrive donc parfois quelques mésaventures. Pouvez-vous nous raconter une anecdote qui vous est arrivée en direct ?
Il y en a eu beaucoup. Aux Championnats Européens de Munich en 2022, par exemple, il y a eu une panne de son générale chez nous. Il n’y avait plus du tout de son, même pas celui de l’ambiance du stade. J’ai écrit sur une feuille A4 « coupure de son désolé » et j’ai montré la feuille à l’antenne. Je ne pouvais pas parler puisqu’on ne m’entendait pas. Après, j’ai écrit sur une deuxième feuille « L’affaire de quelques minutes (secondes) ». C’était comme dans les films muets !
Ce qui était assez drôle, c’est quand on va vu le lendemain la courbe d’audience lors de cet incident. Il a eu lieu à 20h45, à un moment où beaucoup de personnes sont devant la télé. La courbe d’audience est quasiment passée à 0 d’un coup ! En effet, les gens ont pensé que leur télé avait un problème et ils ont changé de chaîne. Heureusement, ils sont revenus juste après !
Vous présentez les Jeux Olympiques depuis 2000. Quelle est l’édition qui vous a le plus marqué en tant que journaliste sportif ?
Les JO de Londres ont été fantastiques. Il n’y avait qu’une heure de décalage horaire, on était à l’antenne de 9h du matin à minuit, et il y a eu des moments éblouissants. Teddy Riner est devenu champion Olympique pour la première fois et il est venu sur notre plateau faire sa première interview. Il est arrivé assez tard, vers 23h30, et je l’ai gardé à l’antenne environ 30 minutes. Je n’avais pas envie d’arrêter l’interview, car il était dans un état épanoui et il nous racontait tout son parcours. Pour lui, ce titre Olympique était le Graal. Renaud Lavillenie a remporté le titre Olympique à la perche après un concours incroyable, et l’équipe de France de handball s’est qualifiée en même temps pour la finale. Les nageurs français ont réussi un parcours exceptionnel et on a vu Florent Manaudou dans les bras de sa sœur après sa victoire. Ces JO étaient très marquants !
J’ai bien aimé les JO de Tokyo, même s’ils étaient dans des conditions très particulières à cause du covid-19. On devait cracher tous les matins dans un flacon et attendre que notre application passe au vert pour qu’on puisse bouger. Ces JO avaient été repoussés d’une année et avaient été menacés, et ils ont quand même eu lieu. C’est aussi la force des JO. A part les guerres, rien n’a annulé les JO dans l’histoire !
Et il y a bien sûr les JO de Sydney, car c’étaient mes premiers. Je me suis retrouvé à l’autre bout du monde. Je n’avais pas eu l’occasion de beaucoup voyager dans le travail auparavant et je me suis retrouvé en Australie à effectuer huit heures d’antenne tous les jours. J’étais émerveillé !
J’ai toujours eu conscience de la chance que j’aie, venant d’une ville loin de Paris (Grenoble), sans aucun piston. Il y a certes de la volonté pour y arriver, mais il y a aussi un petit côté miraculeux !
« Ce qui m’intéresse dans le sport, ce sont les histoires, grandes ou petites, où il s’est passé quelque chose d’inattendu à un moment donné »
Les sportifs parlent souvent d’une période de blues après les Jeux Olympiques. Est-ce un sentiment que vous avez aussi parfois en tant que présentateur, après la quinzaine Olympique très intense ?
C’est vrai que je suis rincé quand je termine les JO ! Mais les Jeux Olympiques ne sont plus une fin pour moi car je présente aussi depuis dix ans les Jeux Paralympiques, qui ont lieu dix ou quinze jours après. Quand les Jeux Olympiques se terminent, je n’ai pas le temps d’avoir le blues parce qu’une autre compétition commence.
J’adore les Jeux Paralympiques et les athlètes Paralympiques. On a un peu plus de temps pour les recevoir sur le plateau. Ils sont des grands champions et ils sont très positifs. Ce sont des leçons de vie extraordinaires.
Par contre, après les Jeux Paralympiques, j’avoue que je suis content de partir en vacances ! Car après un mois et demi au Japon, en Chine ou en Corée du Sud, on est content de rentrer, d’être un peu chez soi et de se reposer un peu !
Vous venez d’écrire le livre « Les coups du sport – Jeux Olympiques 1896-2024 », aux éditions Ramsay. Comment avez-vous eu l’idée d’écrire ce livre ?
Ce qui m’intéresse dans le sport, ce sont les histoires, grandes ou petites, où il s’est passé quelque chose d’inattendu à un moment donné. En 2013, j’ai voulu raconter ce genre de moments et j’ai écrit mon premier livre « Les coups du sport », en deux tomes. J’ai raconté le service à la cuillère du tennisman Michael Chang, le coup de boule de Zidane, etc. J’ai expliqué pourquoi ça s’était passé et quelles en avaient été les conséquences. Je me suis dit qu’il y avait beaucoup d’histoires à raconter aux Jeux Olympiques et j’ai repris ce thème pour écrire un nouveau livre.
Je raconte des histoires très connues, comme par exemple quand Tommie Smith et John Carlos ont levé le poing sur le podium des JO de Mexico, quand Dick Fosbury a inventé un nouveau type de saut en hauteur et en a donné son nom, quand Marie-Jo Pérec a fui les JO de Sydney, quand l’Australien Bradbury est devenu champion Olympique de short-track car tout le monde est tombé devant lui à chaque tour !
Je raconte aussi des histoires moins connues. J’adore celle d’un gymnaste japonais aux JO de 1976. Il s’est blessé gravement au genou lors du concours par équipe. Le médecin l’a alors ausculté et lui a dit d’arrêter l’épreuve car il avait un risque de devenir handicapé. Mais il a quand même continué le concours pour ne pas pénaliser son équipe. Il a effectué le cheval d’arçon et les anneaux malgré sa blessure, et le Japon est devenu champion Olympique grâce à lui ! Ses coéquipiers n’étaient même pas au courant de la gravité de sa blessure ! Toujours lors des JO de 1976, il y a l’histoire du pentathlète soviétique « Boris Le Tricheur », qui lors de l’épreuve d’escrime avait mis sous son gant un interrupteur pour actionner la lumière marquant une touche. La supercherie a été découverte. L’équipe d’URSS a été exclue des Jeux et lui a fini au goulag, alors que c’était une star ! Ce sont des histoires incroyables !
Je raconte également les Jeux de Paris 1924 et ceux de Paris 1900, où il y avait encore des épreuves de tir à la corde et de tir aux pigeons, où il fallait abattre le plus de pigeons possibles pour être sur le podium. C’est rigolo de voir comment ça se passait à l’époque !
Parmi toutes les histoires que vous racontez dans le livre, quelle est celle qui vous a le plus marqué ?
Je garde un souvenir assez incroyable des JO de Londres. Je me souviens en particulier du contraste entre la joie incroyable de Teddy Riner et les larmes de désespoir du boxeur Alexis Vastine (éliminé en quarts-de-finale sur une décision arbitrale très controversée, quatre ans après une autre élimination très controversée en demi-finale des JO de Pékin, ndlr). J’avais reçu les deux athlètes sur le plateau lors de ces JO et ce sont des moments qui m’ont marqué.
Et avant de devenir journaliste sportif, quel événement sportif vous avait le plus marqué ?
Gamin, les deux histoires qui m’ont marqué et où j’ai pleuré en regardant du sport, c’étaient la demi-finale de la Coupe du monde 1982 France-Allemagne et la défaite de McEnroe contre Lendl en finale de Roland-Garros 1984. McEnroe était mon idole absolue et je détestais Lendl ! Ce sont deux souvenirs horribles !
Concernant les Jeux Olympiques, ceux de Barcelone 1992 m’ont marqué avec Jean Galfione, Marie-Jo Pérec, Sébastien Flute, la Dream Team des Etats-Unis en basket… C’étaient des JO magnifiques. En tant que téléspectateur, quand il n’y a pas de décalage horaire, on peut regarder les JO toute la journée et beaucoup de choses nous restent en mémoire !
Merci beaucoup Laurent pour cette interview et bonne année 2024 !
La carrière de Laurent Luyat en quelques lignes :
Laurent Luyat débute sa carrière de journaliste sportif en tant que pigiste pour le journal Le Progrès. Il rejoint ensuite Radio France Isère puis France 3 Grenoble, où il présente notamment le magazine des Sports et le journal des Alpes. En 1998, il présente « Tout le Sport » en tant que remplaçant pendant les vacances scolaires.
Il intègre en 1999 le service des Sports de France Télévisions. Il devient le présentateur des plus grands événements sportifs, en particulier les Jeux Olympiques (depuis 2000), les Jeux Paralympiques (depuis 2014), Roland-Garros (depuis 2003) et le Tour de France (« Village Départ » de 2005 à 2016 et « Vélo Club » depuis 2017). Il a aussi notamment présenté des émissions lors du Tournoi des VI nations, la Coupe du monde de football, Les 24 Heures du Mans, « Stade 2 »…
Entre 2001 et 2008, il anime également les Multiplex de football sur la radio Europe 1. En 2010, il reçoit le trophée du meilleur commentateur sportif de l’année, décerné par l’Association des écrivains sportifs. Il écrit plusieurs livres, dont « Les coups du Sport », « 20 ans de Roland Garros » et récemment « Les coups du sport Jeux Olympiques 1896-2024 ».
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