Il y a 20 ans jour pour jour, Marion Clignet remportait la mĂ©daille d’argent des Jeux Olympiques de Sydney en poursuite. Il s’agissait de sa deuxième mĂ©daille d’argent, après celle obtenue aux Jeux Olympiques d’Atlanta 1996. Elle revient pour nous sur ces grands moments.
Marion, tu as remporté la médaille d’argent de la poursuite aux Jeux Olympiques d’Atlanta 1996. Cette médaille était-elle pour toi une grande satisfaction ou bien un regret car tu as été championne du monde cette même année ?
A Atlanta, je voulais utiliser la position « superman », qui était la position allongée à plat ventre sur le vélo. La Fédération française n’était pas d’accord parce que j’avais déjà battu l’Italienne Antonella Bellutti, qui a finalement gagné dans cette position. Je me suis peut-être fait du tort mentalement. J’étais très bien aux Championnats du monde et aux Championnats de France. Mais les Jeux, c’était totalement différent. Je ne n’ai pas réussi à me mettre dans cet état qu’on appelle le « flow » en anglais. Je me mettais trop de pression.
Trois semaines après les Jeux d’Atlanta, on a bidouillé pour me construire la position « superman ». J’ai rencontré Graham Obree, l’Ecossais qui a inventé cette position, et il m’a expliqué comment l’utiliser et en bénéficier. En trois semaines, j’ai réussi à m’adapter à cette position, alors qu’Antonella Bellutti m’a dit que cela lui avait pris presque six mois. J’ai battu le record du monde ainsi qu’Antonella en utilisant cette position. Quelque part, c’était comme du dopage technique : tu poussais avec tes jambes et tes mains, tu avais trois points d’appui, et tu étais tellement aérodynamique sur le vélo que tu pouvais utiliser des braquets beaucoup plus importants qu’habituellement. Juste après les Championnats du monde 1996, toutes les nouvelles positions ont été bannies.
En plus de cette médaille d’argent sur piste, tu as aussi terminé cinquième du contre-la-montre sur route et tu as participé à la course en ligne. Ayant la double nationalité franco-américaine, ces Jeux d’Atlanta doivent rester un grand souvenir pour toi ?
C’était particulier car on n’était pas dans le Village Olympique. On était obligées d’être un peu en dehors de la ville pour être plus proches de la piste. On avait loué un hôtel et on a fait notre propre rassemblement avec l’équipe de France. Il n’y avait donc pas cette ambiance des JO, quand tu partages ta vie durant quelques semaines avec tous les meilleurs athlètes du monde. En plus, Atlanta, c’était un peu les Jeux de Coca-Cola, un des sponsors principaux, donc c’était plus orienté business que sport. Mais des très bons amis d’Albi et des amis américains sont venus et c’était sympa d’avoir cet entourage.
Tu as de nouveau remporté la médaille d’argent de la poursuite aux Jeux Olympiques de Sydney, il y a exactement 20 ans. A l’époque, cette médaille d’argent correspondait-elle à tes objectifs ?
Non. C’était ma deuxième médaille d’argent, après celle d’Atlanta. A Sydney, je voulais l’or. J’étais en forme pour ça. J’avais tourné dans l’allure du record du monde à l’entraînement. En fait, je n’ai pas gagné l’argent mais j’ai perdu l’or car j’ai perdu la finale. Cela n’a pas complètement suivi dans ma tête et j’ai mis du temps à me pardonner moi-même. Mais comme on dit, il n’y a pas de vainqueur ou de perdant, il y a un apprentissage !
« Sydney, c’est tout ce qu’on rêvait d’avoir aux Jeux ! »
Raconte-nous comment tu as vécu cette finale de l’intérieur à Sydney ?
Il y avait un silence absolu. Une amie qui était dans le vélodrome m’a dit que c’était impressionnant : il y avait 5000 personnes mais il y avait un tel silence quand on comptait les cinq dernières secondes avant le départ qu’on pouvait entendre une épingle tomber dans la salle ! Quelque part, j’ai l’impression que je savais que je courrais pour une médaille d’argent et je n’ai pas réussi à surmonter cette pensée. Je me répétais malgré tout ce que je me répétais tout le temps : j’avais un mantra que j’utilisais pour rester positive et pour surmonter la douleur. Mais je n’ai pas réussi. C’était donc un autre apprentissage !
Tu as participé à trois éditions des Jeux Olympiques : Barcelone 1992, Atlanta 1996 et Sydney 2000. Quelle est l’édition qui t’a le plus marquée ?
Pour moi, les meilleurs Jeux organisés étaient ceux de Sydney. C’étaient des Jeux organisés par des sportifs pour des sportifs. Les organisateurs avaient vraiment tout fait pour que les athlètes soient dans les meilleures conditions. Chaque pays avait des séries de maisons par sport. Les maisons avaient été vendues avant les Jeux et allaient devenir des résidences. Sydney, c’est tout ce qu’on rêvait d’avoir aux Jeux ! A Atlanta, on n’était pas dans le Village Olympique donc je ne peux pas vraiment comparer, mais il n’y avait pas cette même ambiance des JO. J’étais aussi à Londres en tant qu’entraîneur. Les logements n’étaient pas terribles et la nourriture était précuite, mais le Village était assez chouette !
Revenons sur le reste de ta carrière. Ton histoire est exceptionnelle puisque tu as commencé le cyclisme à 22 ans, quand tu as appris que tu étais épileptique. Raconte-nous un peu tes débuts et comment tu es arrivée au haut niveau ?
A l’époque, j’habitais aux Etats-Unis et j’ai été interdite de conduire pendant un an car on m’a découvert une épilepsie à l’âge de 22 ans. Je travaillais à 30 km de chez moi et je n’avais pas la patience d’attendre les bus et les trains car ils n’étaient jamais à l’heure. J’ai acheté un vieux vélo pour 200 dollars et il était beaucoup trop grand pour moi. Je me suis retrouvée à faire 60 km par jour avec ce vélo. Le médecin m’avait dit qu’il ne fallait pas que je sorte toute seule de chez moi et qu’il ne fallait pas que je parle de l’épilepsie parce que c’était tabou. J’ai toujours été un peu rebelle donc j’ai fait tout l’inverse. Le fait de pouvoir rester indépendante était important pour moi. J’ai traversé pluie, vent et neige. Ça m’a permis de devenir à l’aise avec le vélo.
Quelques mois après, un collègue m’a proposé de venir essayer une course de vélo. Mais je n’avais jamais roulé avec d’autres personnes donc je pensais que ça allait être dangereux pour les autres compétiteurs. Il m’a quand même convaincue d’y aller. J’avais tellement peur de faire une erreur dans un virage et de faire tomber tout le monde que je suis partie devant. A chaque fois que quelqu’un essayait de me doubler, j’accélérais pour sa sécurité. J’ai fini quatrième de la course. J’étais euphorique ! Je voulais progresser et je donc suis allée voir la gagnante pour lui demander des conseils. Elle m’a regardé de haut en bas et elle m’a dit : « change le vélo, change le cuissard, change tout ! » (rires). Petit à petit, j’ai commencé à effectuer des entraînements structurés. J’ai changé de travail et je suis devenue messager à vélo à Washington pour gagner des sous pour m’acheter un nouveau vélo. J’ai fait des compétitions et quatre ou cinq ans plus tard, j’ai gagné le championnat national américain (j’ai la double nationalité). On a fini première du contre-la-montre par équipe, et j’ai fini deuxième de la course en ligne et troisième du contre-la-montre individuel. Mais la Fédération américaine m’a refusé la sélection en disant que le fait que je sois épileptique faisait de moi un risque pour l’équipe. J’ai alors décidé de finir la saison en France. Je me suis faite remarquée par le DTN, qui m’a proposé une place en équipe de France l’année suivante. J’ai emménagé en Bretagne en 1991 et je suis devenue cette année-là championne de France sur route et sur piste, ainsi que championne du monde en contre-la-montre par équipe avec Catherine Marsal, Cécile Odin et Nathalie Gendron.
J’espère que ce parcours peut inspirer des jeunes ayant l’épilepsie. Ce n’est jamais facile après une crise. Cela effraie les gens autour de soi. Il faut essayer de faire du sport pour continuer à rester actif.
« Notre objectif est de professionnaliser le vélo féminin en France »
Tu comptes six titres de championne du monde : trois en poursuite, deux en course aux points et un en contre-la-montre par équipe. Quel est celui dont tu es la plus fière ?
Peut-être le premier titre, qui était le contre-la-montre par équipe. C’est sur cette épreuve que j’aurais dû être sélectionnée pour l’équipe américaine. On a fait des stages de fou avec l’équipe de France pour être prêtes. Il y avait 50 km à parcourir à quatre et chacune prenait des relais. Tout le monde a vraiment joué le rôle qu’il fallait durant cette course. On était soudées comme jamais. On a fini devant les Hollandaises, qui étaient très fortes dans cet exercice. Avec Catherine Marsal, on était adversaires dans les courses sur route à l’époque et là on était ensemble pour la gagne. C’était encore plus fort !
Tu as créé une cyclo sportive au profit de la lutte contre l’épilepsie. Peux-tu nous en parler ?
C’est une cyclo sportive qui s’appelle « La Marion Clignet ». Cette annĂ©e, elle devait avoir lieu en juin mais on a dĂ» la reporter Ă cause du covid-19 et on espĂ©rait pouvoir la faire Ă l’automne. Finalement, on a pris la dĂ©cision de mettre notre Ă©nergie dans l’édition 2021. Je l’ai crĂ©Ă©e avec un groupe d’amis et cela fait 13 ans qu’on l’organise. Les quatre premières annĂ©es, on a versĂ© les recettes Ă une fondation pour la recherche sur l’épilepsie. Après, on a versĂ© les recettes Ă une autre fondation, qui aide ceux qui vont se faire opĂ©rer de l’épilepsie (certains types d’épilepsie sont opĂ©rables). Aujourd’hui, l’objectif est de rĂ©colter les fonds nĂ©cessaires pour construire un gymnase Ă l’une des deux Ă©coles spĂ©cialisĂ©es pour l’épilepsie en France (Toul Ar Q’hoat en Bretagne et Castelnouvel près de Toulouse). L’autre objectif de la cyclo sportive est d’éduquer les gens sur l’épilepsie. Au moins 500 000 personnes sont touchĂ©es par cette maladie en France, surtout des enfants. On ne connaĂ®t pas les raisons pour la moitiĂ© d’entre eux. Pour l’autre moitiĂ©, cela peut-ĂŞtre gĂ©nĂ©tique ou Ă la suite d’une maladie. Dans pas mal de sports, comme la boxe ou le rugby, les athlètes peuvent finir Ă©pileptiques Ă la suite de nombreux traumatismes crâniens ou de commotions cĂ©rĂ©brales. On souhaite que l’épilepsie ne soit plus un tabou. Quand quelqu’un a une crise, cela ne veut pas dire qu’il est possĂ©dĂ©. Il ne faut pas ĂŞtre effrayĂ©.
Que deviens-tu et quel a été ton parcours depuis la fin de ta carrière en 2004 ?
J’ai été entraîneur pendant pas mal de temps. J’étais Directrice sportive de l’équipe de Nouvelle-Zélande, dont la base d’entraînement était en France. Après, j’ai été la première femme entraîneur d’une équipe professionnelle masculine : la BBox Bouygues Télécom, où courraient Thomas Voeckler et Pierre Rolland. J’ai également entraîné et dirigé pas mal d’équipes de Division nationale masculine.
L’année dernière, avec Elisabeth Chevanne-Brachet, Audrey Cordon, Jennifer Letué, Sandrine Deligey et Sandrine Bideau, on a créé l’Association Française des Coureures Cyclistes. Notre objectif est de professionnaliser le vélo féminin en France et d’accompagner les athlètes élites dans leur carrière et dans leur reconversion. Je travaille aussi avec l’Association des Coureures Professionnelles Internationale. C’est vraiment ma bataille.
J’ai aussi été coach sportive. J’ai travaillé avec Airbus pendant cinq ans. Avec une collègue, j’ai créé un programme qui s’appelait « Body and Mind ». L’idée était de travailler avec des femmes qui étaient détectées chez Airbus pour devenir des managers et les aider à developer la résilience et réaliser leur potentiel. J’ai mis en place pour elles un système axé sur la nutrition, la préparation physique et le développement personnel. Aujourd’hui, je travaille plus en tant que consultante. J’ai aussi donné beaucoup de conférences dans le monde sur comment transformer des obstacles en opportunités, surmonter des obstacles, et la motivation.
Merci beaucoup Marion pour ta gentillesse et bravo pour ta médaille il y a 20 ans !
La carrière de Marion Clignet en quelques lignes :
Marion Clignet devient championne du monde du contre-la-montre par équipe (50 km) en 1991. Elle participe aux Jeux Olympiques de Barcelone 1992 et se classe 33e de la course en ligne. Aux Championnats du monde sur piste, elle obtient en poursuite le bronze en 1991 et l’argent en 1993. Elle devient championne du monde de la poursuite en 1994.
Lors des Jeux Olympiques d’Atlanta 1996, elle remporte la médaille d’argent de la poursuite. Lors de ces JO, elle participe également aux épreuves sur route (5e du contre-la-montre et 38e de la course en ligne). En 1996, elle est également championne du monde de poursuite et bat le record du monde. Lors des Championnats du monde 1999, elle réalise le doublé avec l’or en poursuite et en course aux points.
Elle remporte une nouvelle médaille d’argent en poursuite aux Jeux Olympiques de Sydney 2000. Elle y termine aussi 6e de la course aux points. Cette même année, elle est championne du monde de course aux points. Aujourd’hui, Marion Clignet est co-présidente de l’Association Française des Coureures Cyclistes.
Participations aux Jeux Olympiques de Barcelone 1992, Atlanta 1996 et Sydney 2000
Médaillée d’argent aux Jeux Olympiques d’Atlanta 1996 (poursuite) et Sydney 2000 (poursuite)
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