Interview de Mathieu Peisson
(water-polo)

Après vingt-neuf saisons en professionnel et près de 400 sélections en équipe de France, Mathieu Peisson va prendre sa retraite sportive en juin. Il revient pour nous sur sa longue carrière, marquée notamment par sa participation aux Jeux Olympiques de Rio 2016.

Mathieu, tu as commencĂ© en Ă©quipe de France en 1999, Ă  18 ans, et tu as participĂ© aux Jeux Olympiques de Rio 2016, Ă  34 ans. Peux-tu tout d’abord nous raconter comment tu as vĂ©cu toutes ces annĂ©es difficiles avant la qualification aux JO ?

C’était une période extrêmement dure à vivre. Le water-polo français n’était pas organisé comme aujourd’hui. Il n’y avait pas de professionnalisation et pas de rémunération pour les joueurs quand ils venaient en stage en équipe de France. Certains joueurs décidaient donc de ne pas venir en sélection car c’était plus pertinent pour eux d’aller travailler plutôt que de venir en équipe de France sans rémunération. L’équipe était ainsi assez jeune.

A l’époque, le Championnat d’Europe était divisé en deux : il y avait le Championnat d’Europe A avec les douze meilleures équipes européennes, et le Championnat d’Europe B avec les douze autres équipes. En 2001, on s’est qualifié au Championnat d’Europe A à Budapest. Puis il y a eu treize années de disette, jusqu’en 2014. Pour obtenir son billet au Championnat d’Europe A, il y avait un barrage entre les six premiers du B et les six derniers du A. Si tu ne jouais pas le Championnat d’Europe A, tu ne pouvais pas te qualifier pour les Mondiaux et encore moins pour les JO.

La difficultĂ© supplĂ©mentaire Ă  l’époque Ă©tait les nombreuses dĂ©rives concernant les passeports, notamment dans les pays de l’Est. Beaucoup d’athlètes changeaient de passeport et d’équipe nationale chaque annĂ©e. Je me rappelle notamment d’un ancien Russe qui avait participĂ© aux Jeux Olympiques : en trois ans, je l’ai affrontĂ© sous les couleurs de la Moldavie, de la BiĂ©lorussie et de l’Ukraine ! Je me souviens aussi d’avoir perdu d’un but contre la MacĂ©doine alors qu’il n’y avait qu’un MacĂ©donien dans leur Ă©quipe ! C’était de l’abus ! A chaque fois qu’on jouait contre ce genre d’équipes, ils faisaient la diffĂ©rence grâce Ă  ces joueurs de plus de 30 ans qui avaient de l’expĂ©rience.

Ça a été des années de frustration et de dérives de ce sport alors méconnu. Je réalisais des bonnes performances en club mais je ne jouais qu’en Championnat d’Europe B. Je ne pensais même pas jouer les Jeux Olympiques un jour. Ça a été très dur à vivre.

« Je participais finalement aux Jeux Olympiques en 2016, après des années de souffrance et de frustration »

Quel a été selon toi le déclic qui a permis à la France de se qualifier en 2016 pour la première fois depuis 24 ans aux Jeux Olympiques ?

A partir de 1998, le club de Nice a commencĂ© Ă  engager de plus en plus d’étrangers. Il y avait auparavant un « gentleman agreement Â» entre les clubs qui limitait Ă  trois le nombre d’étrangers par club, mais Nice a voulu mettre fin Ă  l’hĂ©gĂ©monie marseillaise et a eu des ambitions europĂ©ennes. Le club a ainsi dĂ©cidĂ© de recruter de plus en plus d’étrangers, jusqu’à n’avoir qu’un seul Français dans l’équipe !

Cela a commencĂ© Ă  casser la formation française et par consĂ©quent Ă  dĂ©truire le niveau de l’équipe de France. Cela a durĂ© quasiment dix ans. Mais en 2007, les instances dirigeantes ont dĂ©cidĂ© de remettre en place le « gentleman agreement Â» et de limiter clairement le nombre d’étrangers Ă  trois par club. Et bizarrement, cela correspond aux dĂ©buts de la gĂ©nĂ©ration qui s’est qualifiĂ©e aux Jeux de Rio ! Les jeunes joueurs ont commencĂ© Ă  avoir des rĂ´les importants et Ă  ĂŞtre dĂ©cisifs. Ça a portĂ© ses fruits !

L’arrivĂ©e de Florian Bruzzo Ă  la tĂŞte de l’équipe de France en 2012 et de Julien IssouliĂ© Ă  la tĂŞte de la FĂ©dĂ©ration a aussi jouĂ©. Avec le peu de moyens dont disposait le water-polo, ils ont essayĂ© de monter des projets et de dĂ©bloquer de l’argent pour la prĂ©paration et les stages. Ils ont mis des bonnes choses en place et l’équipe de France en a bĂ©nĂ©ficiĂ© pour se qualifier aux Jeux de Rio !

Comment as-tu vécu de l’intérieur ton premier match Olympique ?

J’avais beaucoup d’émotions. Quand la Marseillaise a retenti, je me rappelle avoir pleurĂ© car c’était la concrĂ©tisation d’un rĂŞve : j’avais eu ma première sĂ©lection en 1999 et je participais finalement aux Jeux Olympiques en 2016, après des annĂ©es de souffrance et de frustration. J’étais heureux car j’étais arrivĂ© Ă  la consĂ©cration de ma carrière de sportif. Et j’étais Ă©galement fier, car je n’avais rien lâchĂ© et je m’étais donnĂ© les moyens d’être encore Ă  ce niveau-lĂ  Ă  34 ans. C’était un pur bonheur et j’étais très fier de reprĂ©senter la France.

Mis Ă  part la compĂ©tition, quels souvenirs gardes-tu de ces Jeux Olympiques de Rio ?

Je garde en mĂ©moire le fait d’être dans le Village Olympique et de croiser quand tu vas prendre ton petit dĂ©jeuner Usain Bolt, Rafael Nadal, Novak Djokovic, Michael Phelps… C’était assez surrĂ©aliste ! Je me demandais ce que je faisais lĂ  car d’habitude, on les voit toujours Ă  la tĂ©lĂ©. A ce moment-lĂ , je me suis dit que j’y Ă©tais arrivĂ© : je faisais partie de ce club des rares privilĂ©giĂ©s de sportifs qui ont participĂ© aux Jeux Olympiques !

Il y avait aussi l’ambiance de l’immeuble France. Tu prends l’ascenseur avec Tony Parker, tu descends aux soins et tu croises Teddy Riner… Je suis notamment proche des frères Karabatic, de Michaël Guigou, de Daniel Narcisse, d’Earvin Ngapeth et de Nicolas Le Goff. C’était génial de les revoir et d’être dans cette atmosphère tous ensemble.

« J’ai débuté à 14 ans et neuf mois, j’ai désormais 42 ans et je dispute ma vingt-neuvième saison professionnelle »

Tu es le joueur qui compte le plus de sĂ©lections de l’histoire de l’équipe de France de water-polo, avec plus de 450 capes entre 1999 et 2017. Est-ce une fiertĂ© particulière ?

Je vais casser un peu le mythe : je ne suis pas le recordman, contrairement Ă  ce que beaucoup pensent. Le recordman de sĂ©lections est Armand Mikaelian, le gardien emblĂ©matique du Cercle des Nageurs de Marseille et de l’équipe de France, avec je crois 525 capes. On n’a malheureusement pas la chance d’avoir des statistiques prĂ©cises dans le water-polo, mais le chiffre de 450 sĂ©lections a Ă©tĂ© un peu surestimĂ©. Sur mes 18 annĂ©es en Ă©quipe de France, j’estime que je suis Ă  peu près Ă  380-400 sĂ©lections.

Au-delà du nombre de capes, ma grande fierté est ma longévité. J’ai débuté à 14 ans et neuf mois, j’ai désormais 42 ans et je dispute ma vingt-neuvième saison professionnelle. Ma passion pour mon sport est toujours restée intacte malgré tout ce que j’ai pu vivre et les moments difficiles. J’ai toujours essayé de garder cette âme d’enfant et de me dire que j’ai la chance d’être professionnel en water-polo. Je considère le polo comme un jeu, dans lequel il faut prendre du plaisir.

Ta dernière sĂ©lection en Ă©quipe de France date de 2017. Comment s’est passĂ© ta fin de carrière internationale ?

Je n’ai plus été sélectionné pour des raisons qui étaient injustes selon moi. J’étais troisième meilleur buteur du Championnat, je marchais sur l’eau et j’étais plus que légitime pour participer au Championnat d’Europe 2017 à Barcelone. Mais on m’a dit que j’étais trop vieux, qu’il fallait faire place aux jeunes et qu’on n’avait plus besoin de moi. Pourtant, les jeunes avaient 14-15 ans et étaient loin d’avoir le niveau. Ça marche désormais comme ça dans tous les sports. Il faut l’accepter.

En dĂ©cembre 2021, tu as failli mourir Ă  cause d’une pĂ©ricardite aigĂĽe qui s’est transformĂ©e en pneumopathie hypoxĂ©miante grave. Comment as-tu trouvĂ© la force de revenir au haut-niveau après un tel Ă©vĂ©nement ?

C’est vrai que ça m’a mis un coup. A 34 ans, je me suis retrouvé en soins intensifs et la moyenne des patients à côté de moi était de 85 ans. Je me demandais ce que je faisais là.

J’ai eu la chance de faire partie du club de Noisy-le-Sec, dont le directeur sportif, la prĂ©sidente et l’équipe m’ont Ă©normĂ©ment soutenu. Ma famille m’a aussi apportĂ© beaucoup de soutien. Quand tu es accompagnĂ© et qu’on te donne de l’amour, cela te donne de la force et c’est plus facile de revenir. J’ai pris du recul et j’ai vu la vie avec une autre perspective. Je me suis dit que c’était une Ă©preuve et que je devais choisir : soit je m’en servais comme excuse, soit je prouvais que j’étais capable et que j’avais envie de revenir. Cette pĂ©riode a Ă©tĂ© dure Ă  vivre, mais j’avais encore plus envie de rejouer. Dès que j’ai eu le feu vert de la cardiologue pour reprendre l’entraĂ®nement, j’ai voulu reprendre. Mais le coach m’a freinĂ©. J’avais envie de jouer et il restait une demi-saison. Ça n’a pas Ă©tĂ© si dur que ça.

Tu as 42 ans et tu as annoncé que tu allais mettre un terme à votre carrière à la fin de la saison. As-tu déjà des idées de reconversion ?

J’arrête le water-polo car mon corps en brisé. Je n’ai plus de cartilages dans la hanche, dans le coude, dans l’épaule et dans le genou. J’ai de l’arthrose et de l’arthrite. Je vais probablement subir quelques opérations. Beaucoup de sportifs rentrent en dépression lors de la fin de leur carrière. C’est une petite mort. Reprendre la vie de M. Toutlemonde ne se fait pas du jour au lendemain et ne se fait pas tout seul. Il faut bien se préparer.

Je vais rentrer à Sète avec ma famille. Je serai ainsi dans un climat sécurisant. J’aimerais y monter mon académie d’été pour les jeunes. Beaucoup de jeunes passent deux ou trois mois sans entraînement à la fin de chaque saison. L’idée serait d’organiser deux stages de quinze jours en juillet et en août. Je souhaite monter quelque chose qui apporte vraiment aux jeunes, avec des intervenants. Avec un ami, on a aussi le projet de monter des tournois de beach water-polo. On veut organiser des tournois où les gens viennent prendre du plaisir en mode festival, avec notamment un DJ et un terrain de polo gonflable.

Après, on verra si j’ai l’opportunité d’entrer dans le club de Sète de quelque manière que ce soit. Pour l’instant, c’est compliqué. Le dialogue est un peu rompu avec la direction par rapport à certaines affaires du passé. Je dois attendre le bon cycle et saisir ma chance quand l’occasion se présentera.

Merci beaucoup Mathieu et bonne annĂ©e 2025 !

La carrière de Mathieu Peisson en quelques lignes :

Mathieu Peisson débute sa carrière professionnelle en 1996. Il est sélectionné pour la première fois en équipe de France en 1999, à l’âge de 18 ans. En 2001, il participe au Championnat d’Europe et la France termine 12e. Après de nombreuses années sans qualification, la France joue le Championnat d’Europe 2014, que Mathieu et ses coéquipiers terminent à la 10e place.

La France se qualifie pour les Jeux Olympiques de Rio 2016. Il s’agit de sa première participation aux JO depuis plus de 20 ans. L’équipe de France termine dernière de son groupe (une victoire pour quatre défaites) et Mathieu inscrit deux buts lors du tournoi. Les Championnats du monde 2017 sont sa dernière compétition avec les Bleus et la France y termine 14e.

En club, il porte successivement les couleurs de Sète, de Catalunya (Espagne), de Sabadell (Espagne), de Sète, de Montpellier, de nouveau de Sète, de Sant Andreu (Espagne), de Noisy-le-Sec et depuis 2022 d’Aix-en-Provence. Avec Sète, il est 5 fois meilleur buteur du Championnat, entre 1998 et 2002. Avec Montpellier, il est champion de France 2012 et 2014 ainsi que meilleur joueur et meilleur buteur du Championnat 2012. Aujourd’hui âgé de 42 ans, Mathieu Peisson joue sa dernière saison et mettra un terme à sa carrière en juin.

drapeau olympique Participation aux Jeux Olympiques de Rio 2016

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