Maxime Montaggioni a connu une année 2022 exceptionnelle, marquée par un titre de champion Paralympique et deux titres de champion du monde de snowboard. Il revient pour nous sur son expérience des Jeux Paralympiques de Pékin.
Maxime, tu as remporté les deux titres de champion du monde en janvier 2022. Dans quel état d’esprit es-tu arrivé aux Jeux Paralympiques de Pékin deux mois plus tard ?
Les Championnats du monde n’étaient pas du tout l’objectif de la saison. Avoir réussi à les remporter était pour moi un plus. C’était bon pour la confiance. Mais je savais que rien n’était acquis malgré cette bonne performance. Tout le monde travaillait dur et voulait ramener le titre Paralympique. J’étais aussi conscient que je ne gagne jamais toutes les courses de la saison. Par contre, je suis généralement fort sur les courses d’un jour, comme les Championnats du monde ou les Jeux.
Je suis donc parti à Pékin comme d’habitude, en me disant qu’il fallait que je donne tout le jour J et qu’on verrait bien. Je ne me suis pas mis la pression par rapport à mon statut de champion du monde, mais plutôt par rapport au fait qu’une médaille Paralympique était la seule chose qui manquait à mon palmarès. J’avais à cœur de performer !
Tu as débuté les Jeux Paralympiques de Pékin 2022 par une élimination en quarts-de-finale du snowboardcross pour trois centièmes de seconde. Comment as-tu réussi à digérer cette déception pour revenir compétitif en banked slalom quelques jours plus tard ?
J’avais envisagé tous les scénarios pour cette première course, sauf celui-ci ! Sortir au premier tour était inconcevable pour moi ! Il peut y avoir plus fort que moi, et j’accepte la défaite dans ces conditions. Mais quand j’ai revu la course, j’ai noté que j’avais bien ridé et que je n’avais pas une bonne glisse. Je suis très bien parti des starts, mais j’ai fait une erreur en début de parcours : j’ai eu un déséquilibre sur un module et j’ai donc perdu du temps. Je suis ainsi passé à la troisième place au bout de la première ligne droite. Mais j’aurais dû largement rattraper cette erreur car ma course était meilleure que celle du Japonais devant moi. Il freinait avant les sauts, et malgré cela, il me prenait deux ou trois mètres à la réception ! Je me suis battu jusqu’au bout mais cette situation n’était pas normale. En revoyant la course, j’en ai conclu que mon élimination n’était pas entièrement de ma faute. J’avais ma part de responsabilité, mais il y avait surtout un problème de fartage, qui a été reconnu à demi-mot par le technicien.
Je me suis servi de ce constat pour me réconforter. Je me suis dit que sur une course d’un jour, il y a des paramètres que je pouvais maitriser et des paramètres que je ne pouvais pas maitriser. Je n’ai pas douté de moi. Tout le travail effectué en amont m’avait fait prendre conscience que j’avais le niveau et que j’avais une carte à jouer dans ces Jeux Paralympiques. La seule inconnue de cette compétition était les Chinois, qu’on n’avait jamais vus et qui se sont révélés être très forts lors de la première course. Je ne suis pas le meilleur physiquement ni techniquement, mais j’ai cette force mentale de pouvoir me mobiliser le jour des grands événements. L’objectif restait d’aller chercher une médaille sur ces Jeux. J’avais grillé un joker et je n’avais plus le choix ! Il fallait y aller !
« Il y a eu une sorte d’engouement pour moi car j’étais celui qui pouvait battre les Chinois »
Tu es devenu champion Paralympique de banked slalom à Pékin en mars dernier. Raconte-nous comment tu as vécu cette finale de l’intérieur ?
Je me suis classé deuxième du premier run, à un centième de seconde du premier. Je me suis alors dit : « Ce n’est pas possible, trois centièmes le premier jour, un centième cette fois-ci ! Il y a bien un moment où les centièmes vont être de mon côté ! ». J’ai alors décidé de tout donner sur le deuxième run pour ne pas avoir de regret. En général, c’est rare d’améliorer son temps sur le deuxième run car la piste est détériorée et a des trous suite aux passages de tous concurrents. Mais j’ai tenté le tout pour le tout. Ça passait ou ça cassait !
Sur le deuxième run, l’ordre des passages était inversé : les meilleurs du premier run partaient en dernier. Le Chinois qui m’avait battu sur le premier passage devait donc passer après moi. J’ai réalisé un run très engagé. Quand j’ai franchi la ligne d’arrivée, j’ai vu que j’avais amélioré mon temps de quatre dixièmes. Déjà , j’étais content car j’avais réussi à l’améliorer malgré la piste détériorée. J’ai commencé à y croire : ce n’était pas acquis mais la pression était désormais dans le camp du Chinois.
On m’a raconté qu’il y a eu une explosion de joie en haut de la piste quand j’ai franchi la ligne avec ce temps. Il y a eu une sorte d’engouement pour moi car j’étais celui qui pouvait battre les Chinois. Tout le monde avait pris mon partie. Je pense que cela a basculé la pression du côté du Chinois. Il était à domicile et il avait déjà gagné le snowboardcross, où ils étaient quatre Chinois en finale. Je pense que ce nouveau contexte a joué en ma faveur !
De façon plus globale, quels souvenirs gardes-tu de ces Jeux Paralympiques de Pékin ? As-tu ressenti la magie malgré les conditions strictes à cause du covid-19 ?
L’atmosphère était très pesante. Dès la descente de l’avion, on n’a croisé que des gens en combinaison intégrale blanche. Même si les bénévoles étaient tops, qu’ils étaient très respectueux qu’ils nous ont beaucoup salués, l’ambiance n’était pas chaleureuse. Il y a aussi eu le début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, et la délégation russe a dû partir. C’était donc une ambiance un peu morose et pas festive comme les Jeux auraient dû l’être. En plus, j’ai eu une difficulté concernant la nourriture. J’adore manger et j’ai besoin de prendre du plaisir à manger pour me sentir bien. Mais ça n’a pas été le cas à Pékin donc je n’ai pas eu le moral au beau fixe.
Mais moi, j’étais là pour performer. Peut-être que ce manque d’ambiance m’a permis de rester concentré sur le côté sportif et d’aller chercher cette médaille d’or ! On n’avait rien d’autre à faire à part se concentrer sur la performance. S’entraîner était notre seule activité de la journée ! Franchement, c’est long de passer deux semaines enfermé dans un Village où il fait froid et où on n’a rien à faire. La médaille est le seul côté très positif de cette expérience !
Revenons un peu en arrière : en 2018, tu as dû déclarer forfait pour les Jeux Paralympiques de Pyeongchang 2018 suite à une grave blessure à l’entraînement en Corée. On imagine que cela a été difficile à digérer ?
Oui, clairement ! Après coup, je pense que j’ai fait une dépression à ce moment-là . Lors de ma blessure à Pyeongchang, je n’ai même pas pu rester sur place encourager mes copains. La Fédération m’a juste annoncé qu’elle m’avait pris une place en classe affaires pour que je puisse m’allonger sur le vol du retour. Je m’étais donné à fond pendant quatre ans et je me suis senti comme un paria. La Fédération n’a pris de mes nouvelles que quatre mois après. Je me suis retrouvé tout seul chez moi avec le genou en vrac, j’ai vu tout le monde à la télé et je n’ai pu profiter de rien… Cela m’a ramené à la réalité et cela m’a fait très mal. J’ai perdu un peu pied. J’ai envoyé des gens balader, j’ai quitté ma copine… Je me suis fait opérer quelques semaines après être rentré. Il me manque déjà une main, donc c’était l’enfer de me déplacer ou de faire la cuisine avec une jambe et une main en moins ! J’ai dû retourner chez mes parents pour avoir un minimum d’assistance.
Au moment où j’ai intégré le centre de rééducation de Capbreton, j’ai rencontré d’autres personnes qui avaient été dans mon cas, qui étaient sur la fin de leur ré-athlétisation et qui étaient prêts à reprendre leur sport professionnel. Je me suis raccroché à ça en me disant qu’il y avait de l’espoir. Les soins étaient tops et j’ai rencontré de belles personnes, ce qui m’a redonné envie d’y croire. Je voyais des progrès chaque jour ! Je me suis beaucoup investi et j’ai fait tout ce qu’on m’a demandé.
« Je veux replacer le plaisir de rider au centre de ma pratique »
Comment s’est passée la reprise après cette blessure ?
Quand j’ai repris, j’avais beaucoup d’appréhension car je ne savais pas si le genou allait résister la première fois que j’allais sauter de nouveau sur un snowboard. Mais physiquement, j’étais très bien préparé. Lors de ma course de reprise, à Big White au Canada, j’avais tellement peur de tomber ou qu’on me fasse tomber que j’ai pris des départs incroyables et que j’ai gagné la course ! Cela m’a tout de suite remis en confiance et j’ai pu mettre de côté cette période sombre de ma vie !
Tu comptes à ton palmarès cinq titres de champion du monde. Quel est celui qui a le plus de saveur pour toi ?
Je pense que c’est mon premier titre de champion du monde, à Big White, au Canada. La première épreuve était le snowboardcross. A l’époque, on partait à deux et non pas à quatre, et je me suis retrouvé en finale contre un Américain. A un moment, sur un virage, j’étais en train de le doubler et il est allé tout droit pour que sa planche touche la mienne et que je tombe. J’ai terminé deuxième. Je l’ai eu un peu mauvaise et je me suis dit qu’il fallait que je prenne ma revanche sur l’épreuve de banked slalom. Cet Américain était meilleur que moi sur le papier, mais j’étais tellement remonté contre lui que j’ai vraiment donné le meilleur de moi-même et j’ai gagné le titre.
Lorsque j’ai passé la ligne d’arrivée ce jour-là , j’ai eu une sensation de bien-être ultime pendant un petit laps de temps. C’était comme le nirvana. C’était la première fois que j’avais cette sensation ! Ce titre a lancé ma carrière.
Tu as actuellement 33 ans. Comptes-tu continuer ta carrière jusqu’aux Jeux Paralympiques de Milan 2026 ?
Oui, mon objectif est de finir ma carrière à Milan. A Pékin, je n’ai pas senti le côté festif car j’avais une obligation de résultat et je voulais boucler le cycle où j’avais pratiquement tout gagné. J’ai désormais le sentiment du devoir accompli. Cette saison, j’aborde le snowboard de façon différente. Je veux replacer le plaisir de rider au centre de ma pratique. Je ne dis pas que je vais y arriver, mais c’est ma grande ligne théorique. L’idée est d’avoir un détachement aux Jeux de Milan, d’être plus relâché et plus performant. Si je parviens à y aller, je veux profiter de ce dernier événement de ma carrière sportive !
Merci beaucoup Maxime pour ta disponibilité !
Crédits photos : lucpercivalphotography (photo 1) et Grégory Picout (photo 2)
La carrière de Maxime Montaggioni en quelques lignes :
Né avec une malformation congénitale du bras droit, Maxime Montaggioni s’illustre d’abord en taekwondo et remporte la médaille de bronze des Championnats du monde 2013. Il décide ensuite de se tourner vers le snowboard. Lors des Championnats du monde 2017, il remporte l’or en banked slalom et l’argent en snowboardcross.
En 2018, il doit déclarer forfait pour les Jeux Paralympiques de Pyeongchang 2018 suite à une grave blessure à l’entraînement en Corée. En 2019, il devient double champion du monde du snowboardcross et du banked slalom.
En janvier 2022, il remporte de nouveau les titres de champion du monde de snowboardcross et de banked slalom. Deux mois plus tard, lors des Jeux Paralympiques de Pékin 2022, il est éliminé en quarts-de-finale du snowboardcross avant de remporter la médaille d’or du banked slalom. Aujourd’hui âgé de 33 ans, Maxime Montaggioni vise les Jeux Paralympiques de Milan 2026.
Participation aux Jeux Paralympiques de PĂ©kin 2022
Médaillé d’or aux Jeux Paralympiques de Pékin 2022 (banked slalom)
Interview super intéressante, quand on suit les handisports.
Merci aux journalistes qui en parle.